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Heinz Spoerli en répétition - photo:
Peter Schnetz
Lilo
Weber: Vous avez rempli la moitié de votre contrat de cinq
ans avec l’Opéra de Zurich. Vous vous étiez fixé
des objectifs ambitieux. Lesquels avez-vous pu atteindre?
Heinz Spoerli: Chez moi, c’est le mouvement perpétuel.
Je dois dire que je suis plutôt heureux à Zurich, même
si j’aspire à plus de spectacles à l’Opéra
et à deux ou trois danseurs supplémentaires dans la
compagnie. Pour cet été, on m’accordé
plus d’espace pour les répétitions, ce qui nous
permettra de maintenir le répertoire.
Quelle
était, selon vous, votre meilleure soirée à
Zurich?
— Elle est encore à venir – ce sera, comme toujours,
celle de mon prochain ballet. J’ai bien aimé «Brahms
Ein Ballett», une œuvre qui pourrait bien sûr être
encore resserrée. Mais, lorsque je l’ai revue après
un certain temps, j’ai quand même trouvé que c’était
un bon ballet. Peut-être ai-je finalement dû travailler
trop rapidement, car il est sorti en début de saison et j’étais
limité dans le temps pour le mettre en scène. Pour
moi, «Brahms» était une soirée importante.
Jusqu'à
quel point le ballet est-il intégré à l’Opéra
de Zurich?
— L’opéra y tient une place très importante
et on fait beaucoup pour lui. Le ballet y est accessoire, comme
dans la plupart des maisons. Je dois m’imposer, mais tous les
metteurs en scène le doivent. En raison des nombreuses premières
programmées, nous n’avons accès à la scène
que peu de temps avant une première, ce qui demande d’être
bien rôdé. Mais cette même routine n’est
pas toujours l’idéal dans un travail de création.
Que
souhaiteriez-vous changer? L’indépendance du ballet
représente-t-elle toujours un thème d’actualité
pour vous?
— Plus maintenant, je suis satisfait. Alexander Pereira me
laisse passablement de liberté. Je peux faire ce que je veux,
mais je serais heureux d’avoir une compagnie un peu plus grande,
pour diminuer la pression sur les danseurs. Pas beaucoup plus grande,
cependant, car cela deviendrait trop impersonnel. L’autonomie,
c’est-à-dire le détachement de la compagnie de
ballet en une entité séparée, n’est pas
sans danger. Lorsqu’on est intégré à une
maison d’opéra, la direction doit faire en sorte que
le ballet se produise sur scène. Mais il faut savoir aussi
s’imposer, on n’y échappe pas car au théâtre,
il faut arriver à s’intégrer dans le calendrier
des spectacles. Mon problème, c’est plutôt un
manque de temps mis à ma disposition et là, même
l’argent n’y peut rien.
En
tout près de 250 personnes ont participé à
vos deux dernières auditions, et finalement cinq hommes sont
entrés en ligne de compte. Qu’est ce qu’une danseuse
ou un danseur de Spoerli doit savoir faire?
— Il doit être capable, ou du moins avoir le potentiel
de s’intégrer à mon niveau, d’évoluer.
Je le vois à sa technique, entre autres à la propreté
des pirouettes, à la manière de faire les sauts et
si l’en dehors et la cinquième sont corrects.
Etes-vous
plus critique envers les femmes?
— Non, mais elles sont plus difficiles à juger que les
hommes. Chez eux, on se rend rapidement compte s’ils savent
sauter, s’ils savent bouger. Chez les femmes, le développement
intervient plus tard. Il faut que leur technique soit irréprochable,
mais pour ce qui est du talent artistique, c’est presque impossible
de faire des pronostics. C’est beaucoup plus difficile de trouver
des femmes convaincantes. La formation n’est plus aussi bonne,
de nos jours. Les bonnes danseuses sont tout de suite engagées.
Mais
le choix est plus grand chez les femmes.
— Non. Bien que les femmes soient plus nombreuses à
se former, souvent elles se remettent moins en question quant à
leur motivation. Lorsqu’un homme devient danseur, c’est
avec conviction qu’il fait son métier. S’il n’a
pas de talent, il ne se lance pas dans ce genre de carrière.
Les hommes ayant choisi de devenir danseur ont souvent un plus grand
potentiel. Ceci dit, généralement celles et ceux qui
viennent auditionner chez moi arrivent directement d’une école,
de Paris ou de Hambourg, où ils n’ont pas réussi
à entrer dans la compagnie. Ce qui veut dire que je me retrouve
déjà avec du deuxième choix.
Comment
maintenez-vous le niveau?
— Par un entraînement quotidien. J’ai de très
bons professeurs: Peter Appel, Chris Jensen et depuis peu Frédéric
Olivieri. Et par mes chorégraphies. Lorsque je suis à
Zurich, j’assiste à presque toutes les représentations
et fais part de mes commentaires sur ce qui ne me convient pas aux
maîtres de ballet.
A la
fin de la saison passée, quinze danseurs ont quitté
la compagnie, c’est beaucoup. Pour quelle raison?
— Ce n’est pas tant que cela, c’est normal. En général,
les danseurs restent dans la même compagnie pendant trois
ans. J’en ai beaucoup qui travaillent avec moi depuis plus
longtemps: Karine Seneca est avec moi depuis quinze ans et Victoria
Mazzarelli l’était déjà lorsque j’étais
encore à Bâle. Lorsqu’un nouveau danseur commence
dans une compagnie, il espère devenir un Noureev. Puis il
voit s’il arrive à y faire sa place, à s’imposer,
ce qui se décide souvent pendant la deuxième année.
Si ce n’est pas le cas, il partira la troisième année.
Vous
avez la réputation d’être un patron très
dur.
— Evidemment, c’est l’étiquette qu’on
me colle depuis trente ans. Je dis ce que je pense, je peux certainement
être très dur, mais le contraire est aussi vrai et
je m’implique pour mes danseurs. Dans ce métier, on
ne peut pas faire autrement.
J’ai
remarqué que vous avez quelques danseuses excellentes, mais
qu’aucun des hommes de la compagnie n’est vraiment à
leur niveau. Pourquoi?
— Pour des raisons d’âge et d’expérience.
Ces femmes sont dans ma compagnie depuis de nombreuses années.
Avec les hommes, il y a un problème: dès qu’ils
acquièrent une personnalité et deviennent de bons
danseurs, ils s’en vont ailleurs car il y a une catégorie
supérieure. Zurich est un tremplin pour Stuttgart, Toronto,
Amsterdam, etc. Lorsque je trouve un bon danseur, au niveau de Ilja
Louwen, il est tout de suite engagé à Stuttgart où
il gagne et voyage plus.
Vous
êtes aussi le directeur artistique de la Schweizerische Ballettberufsschule.
Comment y assurez-vous la qualité de l’enseignement?
— L’école doit être consolidée. Lorsque
je l’ai reprise, elle était endettée pour un
montant de 400 000 francs, dette qui est maintenant épongée.
Je veux construire une école qui ait un avenir, qui me survive
lorsque je partirai. Avoir une bonne formation est primordial de
nos jours. Il y a un risque que la qualité se perde. On ne
peut pas apprendre à danser en un ou deux ans. Et la technique
classique est importante, aussi pour le développement de
l’art de la danse. Lorsqu’elle entre en contact avec des
formes d’expression contemporaines, il peut en sortir quelque
chose de nouveau. Le danseur doit vraiment savoir comment fonctionne
son corps.
Que
faites-vous pour promouvoir la relève, au niveau des chorégraphes?
— A Bâle, j’organisais des ateliers, qui permettaient
aux danseurs de créer des chorégraphies. L’Opéra
de Zurich offre peu de possibilités à cet égard.
Je vais tenter l’expérience l’année prochaine,
mais je ne sais pas encore où ces pièces pourront
être présentées. La Studiobühne de l’Opéra
s’y prête mal, au Stadhof 11 le public ne vient pas.
L’important c’est que les jeunes puissent présenter
leurs chorégraphies dans un cadre professionnel. Il faut
qu’ils aient cette chance s’ils veulent trouver un point
d’ancrage pour poursuivre leur travail et découvrir
par eux-mêmes s’ils ont du talent.
Le
7 mars sortira votre nouvelle pièce, le ballet sur Mozart
intitulé «Eine lichte, helle, schöne Ferne».
Que faut-il en attendre?
— Si je savais le dire, je serais devenu écrivain, plutôt
que chorégraphe. On peut le classer dans la lignée
de «Brahms Ein Ballett». Il ne s’agit pas de la
vie de Mozart, mais de Mozart en tant que «monstre sacré»
de la culture et comment, actuellement, on esquinte sa musique pour
la réduire à une suite de rengaines. Je fais chanter
des motets et des Lieder de Mozart, et Mozart observe comment les
gens interprètent sa musique.
Mozart
est vraiment très difficile à danser. Comment faites-vous
pour éviter de l’esquinter vous aussi dans votre chorégraphie?
— J’y travaille dur et c’est vraiment très
difficile. Je dois dire que j’ai de grandes appréhensions.
La musique est si puissante, mais aussi si équilibrée
qu’il faut prendre garde à ne pas faire que de l’esthétisme.
Qu’attendez-vous
de l’avenir?
— J’aimerais continuer à exercer une activité
créatrice, faire des choses amusantes et rester en bonne
santé. Je suis toujours en avance d’un projet.
Restez-vous
à Zurich ou flirtez-vous avec Berlin?
— C’est plutôt Berlin qui flirte avec moi. Je suis
heureux ici, j’aime bien la Suisse. Mon souci est que je n’ai
pas assez de marge de manœuvre.
Concrètement:
songez-vous à aller à Berlin?
— Non, je n’envisage pas cette possibilité. Le
problème c’est que chaque fois qu’on parle de changement
quelque part, on met mon nom sur le tapis. Etant donné que
je suis encore un des rares à savoir diriger une compagnie
et chorégraphier en même temps, on parle automatiquement
de moi.
Avez-vous
déjà pensé à renoncer à diriger
une compagnie et à travailler seulement en tant que chorégraphe,
comme Jiøí Kylián veut le faire maintenant?
— Oui, j’y ai aussi pensé. Mais si on fait des
chorégraphies classiques, on a besoin d’une bonne compagnie
avec laquelle on puisse travailler.
Hans
van Manen et Jiøí Kylián ont précisément
ceci: une excellente compagnie avec laquelle ils travaillent régulièrement.
— Peut-être que j’y arriverais aussi, mais en toute
franchise, j’ai besoin de ce stress d’un double emploi.
Je ne peux pas rester inactif.
Né
à Bâle en 1941, Heinz
Spoerli a été danseur à Bâle,
Cologne, Winnipeg, Montréal et Genève. En 1972, il
devient connu en tant que chorégraphe avec «Le Chemin».
De 1973 à 1991, il est chorégraphe principal, puis
directeur du Basler Ballett, devenu célèbre dans le
monde entier sous sa direction. De 1991 à 1996, il est directeur
du ballet au Deutsche Oper am Rhein Düsseldorf/Duisburg et
depuis 1996 directeur du ballet à l’Opéra de
Zurich et directeur artistique de la Schweizerische Ballettberufsschule.
Heinz Speorli est aussi chorégraphe invité à
l’Opéra de Paris et de Vienne, à la Scala de
Milan, à Berlin, Pékin, Lisbonne, Hong-Kong, entre
autres. Il participe à la création de nombreux films
de danse pour diverses chaînes de télévision.
Il obtient le Hans-Reinhart-Ring en 1982, le Kunstpreis de la Ville
de Bâle en 1991 et le Prix Jacob Burckhardt, décerné
par la Fondation Johann Wolfgang von Goethe en 1995. Son œuvre
chorégraphique compte environ 140 ballets. Actuellement le
répertoire du Zürcher Balett comprend, entre autres:
«Goldberg-Variationen», «Ein Sommernachtstraum»,
«... und Farben, die mitten in die Brust leuchten»,
«Brahms Ein Ballett», «Romeo und Julia»
et «Giselle».
Photos
de pas de deux chorégraphiés par Heinz Spoerli
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