Peter Grimes
[Zürich] Une pêche miraculeuse
Genre : La Scène Rédacteur : Bernard Halter
pour ResMusica.com le 25/12/2005
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Zürich. Opernhaus. 17-XII-2005. Benjamin Britten (1913-1976) : Peter Grimes, opéra en trois actes et un prologue sur un livret de Montagu Slater. Mise en scène : David Pountney ; décors : Robert Israel ; costumes : Marie-Jeanne Lecca ; lumières : Jürgen Hoffmann. Avec : Christopher Ventris, Peter Grimes ; Emily Magee, Ellen Orford ; Alfred Muff, Captain Balstrode ; Liliana Nikiteanu, Auntie ; Sandra Trattnigg, première nièce ; Liuba Chuchrova, deuxième nièce ; Rudolf Schasching, Bob Boles ; Richard Angas, Swallow ; Cornelia Kallisch, Mrs Sedley ; Martin Zysset, reverend Horace Adams ; Cheyne Davidson, Ned Keene ; Valeriy Murga, Hobson ; Morgan Moody, Fisherman ; Martina Welschenbach, Fisherwoman ; Jeffery Krueger, un avocat ; Julian Visser, the boy (John - rôle muet) ; Hartmut Kriszun, Dr Crabbe (rôle muet) ; Chœur de l’Opéra de Zürich (chef de chœur : Ernst Raffelsberger). Orchestre de l’opéra de Zürich, direction : Franz Welser-Möst.
L’Opéra de Zürich propose une nouvelle production de Peter Grimes
sous la régie de David Pountney, un habitué des murs zurichois. Le
chef-d’œuvre lyrique de Britten se rattache de près aux origines
communes du compositeur et de George Crabbe, auteur de la nouvelle
inspiratrice du livret. Tous deux sont enracinés dans le Suffolk
anglais. La Mer du Nord est donc l’élément central de l’œuvre. Un
élément inquiétant, hostile, impitoyable, expiatoire aussi. Les Sea Interludes (dont quatre des six constituent la suite d’orchestre Four sea interludes
publiée ultérieurement) laissent sourdre à l’envie les profondeurs
glaciales et imprévisibles de cet univers mortifère alors que les
lignes de chant, élancées, s’arquent par delà la fosse d’orchestre,
comme pour mieux illustrer les errances psychologiques du personnage
central.
Souvent présenté comme un être
exclusivement fruste et brutal, Peter Grimes n’en demeure pas moins au
prise avec des tourments croissants liés aux morts accidentelles des
jeunes apprentis qui lui ont été confiés. Subissant l’opprobre des
villageois, il reste obstinément prisonnier de son souci de faire
fortune seul, par la pêche, et court progressivement à sa perte. La
richesse de l’opéra de Britten ne réside pas que dans la présentation
de la destinée de ce pêcheur pris de folie, mais également dans la
peinture subtile qui est faite d’un village de ce Suffolk anglais, avec
sa galerie hétéroclite de personnages, tous croqués avec une acuité de
regard d’une rare pertinence. Par conséquent, le parcours de Peter se
voit rehaussé par d’innombrables scènes de genre qui lui offrent bien
plus qu’un simple contrepoint occasionnel.
La
direction d’acteur de David Pountney parvient à rendre la prodigalité
de l’ouvrage. Des costumes aux intentions claires situent chacun et
chacune au sein de ce contexte villageois. Les habitants sont disposés
sur plusieurs niveaux frontaux et dominent en cela Peter Grimes comme
pour mieux le cerner, le juger. Juchés à différentes hauteurs, les
villageois semblent parfois faire miroir au public réparti entre le
parterre et les galeries de l’Opernhaus zurichois. La présence de deux
lunes en arrière-scène surprend de prime abord, mais tend à souligner
l’ambivalence de Grimes autant qu’elle concourt à opposer par les
éclairages qui y sont jetés la nuit et le jour. De manière générale, le
dispositif scénique unique – relativement abstrait – s’il canalise
l’attention sur un plateau qui foisonne de personnages, lasse quelque
peu et présente l’inconvénient de ne pas vraiment réussir à évoquer
l’infini de l’élément marin, dont on peine à percevoir la présence,
même en latence.
Comme souvent à Zürich, le
plateau est exemplaire. Christopher Ventris apparaît idéal dans le
rôle-titre, autant physiquement que vocalement. Son chant est radieux,
parfaitement lié et vaillant, doté d’une voûte superbe. Il lui permet
en outre de camper un personnage aussi fragile que bourru et de laisser
s’installer un exil mental toujours plus prégnant. L’Ellen d’Emily
Magee est à l’avenant. La soprano est capable d’aigus pleins de relief
et de rondeur, dans des dynamiques variées qui soulignent l’écriture
vocale aussi exigeante que belle dispensée par le compositeur. Le
baryton Alfred Muff, distribué dans le rôle du Capitaine Balstrode, ne
faillit jamais à la tâche qui lui incombe et se profile avantageusement
dans son rôle. Il serait aussi fastidieux que malaisé de détailler par
le menu la quinzaine e rôles que comporte au total l’œuvre de Britten.
Il convient toutefois de relayer l’enthousiasme que le public a éprouvé
à l’égard de la distribution, laquelle bénéficie d’une excellence
indéfectible jusque dans les rôles les moins exposés. Le chœur se joue
sans embûche des difficultés que lui ménage la partition et parvient à
une intensité et une fusion que rien ne prend en défaut.
Dans la fosse, Franz
Welser-Möst livre une lecture passionnante, équilibrée entre force et
poésie, il obtient des pupitres de l’orchestre des élans portés par une
ardeur des plus vives ainsi que des phrasés veloutés et ondoyants. Ses Sea interludes
ont ce zeste d’âpreté qui permet de souligner la violence enfouie sous
le manteau ondoyant de l’élément marin, dan un vaste panel de couleurs
franches ou plus mordorées. De grands moments orchestraux,
indéniablement !
Crédit photographique : © Suzanne Schwiertz
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