BUSONI ET SCHOENBERG
pp. 233-247 avec coupures


Hans Heinz Stuckenschmidt et Alain Poirier
ARNOLD SCHOENBERG

PRÉSENTATION

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TABLE DES MATIÈRES

PREMIÈRE PARTIE

Biographie

Avant-propos 9
I. Vienne, 2e arrondissernent (1874-1901) 19
II. Schoenberg au cabaret Oberbrettl (1901-1903) 49
III. Schoenberg et Strauss 65
IV. Vienne, enseignement, crises (1903-1909) 83
V. Schoenberg et Mahler 109
VI. L'air d'une autre planète (1909) 125
VII. La fuite (1910-septembre 1911) 139
VIII. Deuxième séjour berlinois (octobre 1911-1912) 159
IX. A la veille de la Première Guerre (1912-1914) 181
X. Trois fois sept mélodrames 209
XI. Schoenberg et Busoni 233
XII. La foi après les illusions 249
XIII. Mödling, nouvel ordre et nouvelle vie (1918-1924) 267
XIV. Le grand appel (1925-1932) 319
XV. L'apatride (1933-1934) 379
XVI. Los Angeles (1935-1939) 421
XVII. Les bouleversements de la guerre (1939-1945) 457
XVIII. Le soir de la vie et la mort (1945-1951) 497
XIX. La cellule primordiale 555

DEUXIÈME PARTIE

Étude de l'oeuvre

Introduction 571
Musique vocale 583
Musique chorale 615
Musique pour clavier 637
Musique de chambre 650
Musique pour orchestre 685
Musique scénique 712
Annexes 733
Catalogues (Alain Poirier) 755
Bibliographie sélective 787
Index des noms de personnes 791
Index des ceuvres 810


PRÉSENTATION DE CET OUVRAGE

Plus encore qu'un compositeur majeur, Schoenberg représente une réalité capitale pour la musique du XXe siècle: par la révolution qu'il a apportée au langage musical en s'affranchissant de l'harmonie tonale, il consacre une fracture essentielle dans l'histoire de la musique.
Schoenberg incarne parfaitement le mythe du génie solitaire, investi d'une mission historique et sacrée, assumée avec la plus extrême rigueur et dans la plus totale incompréhension, soutenu moralement et matériellement dans ses audaces par la seule dévotion d'un petit cercle de disciples parmi lesquels se détachent Alban Berg et Anton Webern, appelés à former avec lui la fameuse "trinité viennoise".
La biographie de Stuckenschmidt, écrite à partir de multiples témoignages de contemporains, révèle un Schoenberg au jour le jour, dans l'intimité de son foyer, de ses relations et de son travail créateur. Loin du sévère doctrinaire et du révolutionnaire iconoclaste trop souvent présentés, apparaît ici un être nourri de la grande tradition classique et romantique, et s'en considérant comme l'héritier authentique, admiratif de Mahler, marqué par l'univers de l'opérette viennoise et du cabaret berlinois.
Plus encore, çe qui frappe, c'est la multiplicité de ses activités, de ses centres d'intérêt, reflets de prodigieux dons artistiques et intellectuels ; le compositeur, le violoncelliste, le pédagogue, l'essayiste côtoient ici le peintre expressionniste, le bricoleur, l'inventeur, le visionnaire politique tout autant que le juif profondément religieux.
Une vie traversée par les tourmentes du siècle, riche de rencontres et d'amitiés les plus diverses (de Franz Lehàr à Gershwin, de Kandinsky à Thomas Mann) qui s'accompagne d'une ceuvre musicale dont Alain Poirier analyse en détail l'évolution, le contenu et la portée.

Musicologue allemand réputé, Hans Heinz Stuckenschmidt a été élève de Schoenberg.

Spécialiste de la musique du XXe siècle, Alain Poirier enseigne au Conservatoire national supérieur de musique de Paris. Il prépare un ouvrage sur l'expressionnisme et la musique.

En couverture : Arnold Schoenberg, autoportrait, Arnold Schoenberg Institute Archives.


BUSONI ET SCHOENBERG

Ferruccio Busoni vivait à Berlin depuis 1894. Il aimait la capitale du nouvel Empire allemand qui s'était rapidement développée depuis les années de spéculation qui suivirent 1870, et qui avait attiré l'élite intellectuelle; il revenait volontiers vers cette ville après ses tournées de pianiste virtuose en Europe et en Amérique. Ses centres d'intérêt, cependant, ne se limitaient nullement au piano. Compositeur fécond, imaginatif, intéressé par de nouveaux moyens d'expression, il suivait avec clairvoyance et esprit critique l'évolution de la musique depuis que, dans son enfance, il avait rencontré Brahms à Vienne.
Malgré l'ampleur des moyens matériels mis en ceuvre, la vie musicale à Berlin ne le satisfaisait pas. Il regrettait l'absence d'une pratique méthodique et constante de la musique contemporaine, surtout aux concerts du Philharmonique, qui attirait à l'époque le meilleur public et le plus fortuné. Comme pianiste, il se contentait du répertoire habituel des virtuoses pour des raisons tant psychologiques que pécuniaires. Mais mieux il comprenait la situation de la musique contemporaine, plus il estimait indispensable de mettre ses ressources artistiques et financières à son service.
Occasionnellement, Busoni avait déjà dirigé à Helsingfors (Helsinki). Il aimait ce travail avec l'orchestre qui, à ses yeux, contrebalançait les contraintes du récital de piano. Il avait besoin de partenaires, il recherchait des collaborateurs ayant le même niveau technique que lui, et à qui il pourrait transmettre son idéal artistique. Au tournant des années 1900, il eut l'idée de donner une série de concerts avec orchestre en mettant au programme des ceuvres modernes. Les deux premiers concerts à la salle Beethoven de Berlin eurent lieu les 8 et 15 novembre 1902. Busoni dirigeait le Philharmonique. Au programme, des créations d'Edward Elgar, de Guy Ropartz, de Camille Saint-Saëns, de Christian Sinding, de Jean Sibelius et de Frederick Delius entre autres.
Schoenberg, qui vivait alors à Berlin, était sans doute informé des concerts de Busoni; peut-être assista-t-il même à l'un ou l'autre de ces concerts. Les deux hommes ne se connaissaient pas encore personnellement, bien qu'ils aient habité en 1902 la même rue, l'Augsburgerstrasse du quartier bavarois récemment construit. Busoni habitait au 55, Schoenberg au 48 de cette rue. Au printemps de 1903, Schoenberg écrivit probablement à Busoni, qui lui répondit le 14 mai: «Votre lettre m'a fait plaisir, elle m'a intéressé et m'a donné envie de connaître votre partition. Je vous serais donc très reconnaissant de m'envoyer le manuscrit. Peut-être, comme un nouveau Siegfried, réussirai-je à franchir le cercle de feu qui rend votre ceuvre inaccessible, et à la sortir du sommeil de son "inexécutabilité".»
À quelle partition faisait-il allusion? Le 28 février, Schoenberg avait achevé la composition du poème symphonique «Pelléas et Mélisande», entreprise sur une suggestion de Richard Strauss qui lui avait signalé le drame de Maeterlinck. Comme il n'existe aucune autre partition écrite à cette époque, il ne peut s'agir que de celle-là. Nous ne savons pas pourquoi Busoni ne la donna pas en concert - Schoenberg en dirigea lui-même la création en 1905 à Vienne. Mais nous pouvons supposer que l'orchestre gigantesque était trop coûteux, et les moyens dont Busoni disposait pour organiser son cycle de concerts trop limités.
Cependant le nom de Schoenberg apparut au programme du concert suivant, que Busoni dirigea le 5 novembre 1903. Il s'agissait de danses syriaques de Heinrich Schenker dans une orchestration de Schoenberg, que Busoni donna en première audition. Dans sa biographie de Busoni, Edward Dent affirme que Schenker avait adressé Schoenberg à Busoni en décembre 1903. Il ne dit rien du lieu de la rencontre. Mais nous savons que Busoni passa le mois de septembre à Berlin pour orchestrer son «Concerto pour piano». En été, Schoenberg avait regagné Vienne où il commença à l'automne son enseignement aux écoles Schwarzwald. Peut-être l'idée de Heinrich Schenker avait-elle été d'envoyer Schoenberg avec la partition chez Busoni; le projet, en tout cas, ne se réalisa pas.
Il ne semble pas que les deux compositeurs aient correspondu au cours des années suivantes. Mais, à cette époque, Busoni développa les éléments d'une conception musicale révolutionnaire à plus d'un titre qu'il réunit dans son Esquisse d'une nouvelle esthétique musicale, publiée en 1907 aux éditions Schmidl de Trieste. Busoni en fit envoyer un exemplaire à Vienne avec la dédicace: «Au compositeur Arnold Schoenberg pour information, F. Busoni».
En 1909, la correspondance reprit. Busoni avait poursuivi son entreprise de concerts d'orchestre, mais sans régularité, et il avait dirigé ses propres oeuvres comme celles de Claude Debussy, Carl Nielsen, Hans Pfitzner ou Vincent d'Indy. Au douzième concert, le 2 janvier 1909, on donna un «Scherzo pour orchestre» de Béla Bartok. Le 16 juillet Busoni écrivit à Schoenberg qu'il avait l'intention de donner la «Symphonie de chambre», mais qu'il avait dû annuler les concerts pour la saison 1909-1910 et ne les reprendrait que plus tard. Dans cette même lettre, il demanda à Schoenberg de lui faire parvenir les «Pièces pour piano» dont ce dernier avait dû lui parler. Ce sont les deux premières pièces de l'opus 11, terminées en février; la troisième sera composée plus tard, et achevée le 7 août 1909.
Mais auparavant, Schoenberg envoya les deux premières pièces à Busoni, qui réagit très positivement dans une lettre détaillée du 26 juillet:

Cher Monsieur,
J'ai reçu vos pièces et la lettre qui les accompagne. Toutes deux témoignent d'un homme qui pense et qui éprouve des sentiments, ce que je crois avoir déjà reconnu en vous. De vos oeuvres je connais un quatuor, quelques lieder, et j'ai eu une fois entre les mains une partition de «Pelléas et Mélisande». L'orchestration des danses de Schenker (que j'ai dirigées à Berlin) témoignait de votre admirable virtuosité d'orchestrateur. Partant de ces données, vos pièces pour piano n'ont pas été une surprise pour moi, c'est-à-dire que je connaissais plus ou moins ce à quoi je pouvais m'attendre. Pour moi, il allait donc de soi que j'aurais affaire à un art subjectif, original et fondé sur le sentiment, et que j'allais, grâce à vous, entrer en contact avec des œuvres raffinées. Tout cela s'est réalisé, et je me réjouis profondément de cet événement.
Cependant, il en va autrement de mes impressions de pianiste; je ne peux en faire abstraction, que ce soit par ma formation, ou simplement par déformation professionnelle. Les premiers doutes à l'égard de votre musique en tant que pièces pour piano ont surgi en raison même de la faible amplitude de l'écriture dans le temps et dans l'espace. Le piano est un instrument au souffle court, et on ne saurait assez l'activer. Mais je vais de nouveau travailler vos compositions jusqu'à ce qu'elles me soient tout à fait familières - et j'aurai alors peut-être un autre point de vue. Ce que je dis là ne veut être ni un jugement, ni une critique - d'ailleurs face à une individualité comme la vôtre je ne me permettrais ni l'un ni l'autre; simplement un compte rendu de l'impression que j'ai éprouvée, et mon opinion en tant que pianiste. En attendant, je vous remercie et je vous salue cordialement. J'aimerais garder votre confiance. Dites-moi s'il y a quelque chose que je peux faire pour vous. Votre dévoué Ferruccio Busoni.
Post-scriptum : J'ai vos pièces chez moi depuis cinq jours, et j'y ai travaillé tous les jours. Je crois comprendre vos intentions et j'oserai, après une certaine préparation, reproduire les sonorités et les atmosphères que vous attendez. Mais la tâche est rendue difficile par une excessive concision - c'est le mot qui convient. Craignant d'être mal compris, je me permets de vous donner - pour ma défense - une petite illustration de ce que je dis là. [...]

Schoenberg reçut cette lettre à Seinakirchen, où il travaillait intensément aux «Pièces pour orchestre» op. 16. Il interrompit alors ce travail, tenant compte peut-être des remarques de Busoni, et composa la troisième des «Pièces pour piano». Celle-ci s'écarte considérablement du style et de la technique des deux autres, abandonnant le travail thématique et motivique auquel Schoenberg s'adonnera peu après dans le monodrame «Erwartung». Mais on ne décèle aucune trace de cet élargissement de la composition dans l'espace et le temps auquel Busoni faisait allusion quand il critiquait la concentration de l'écriture. Avec trente-cinq mesures seulement (contre soixante-quatre et soixante-six dans les numéros 1 et 2), elle est la plus courte de ces pièces, et les aigus et les graves de l'instrument n'y sont pas plus exploités que dans les autres.
Mais Busoni ne se borna pas à exprimer des doutes. Le 9 avril, il présenta une autre critique pianistique de l'opus 11. Finalement, il «avoua» à Schoenberg «avoir modifié l'instrumentation» du nº 2. Bien sûr, c'était son affaire - mais il ne voulait pas s'en cacher, même si Schoenberg devait lui en vouloir. Schoenberg ne lui en voulut point. Busoni était fasciné par ces pièces au point de les recommander à son propre éditeur, Breitkopf & Härtel, de Leipzig. Dans sa lettre à Breitkopf & Hârtel - lettre dont il informa Schoenberg le 26 août -, il souligne qu'il connaît le compositeur par la correspondance qu'il entretient avec lui, mais non personnellement. Ainsi l'hypothèse d'une première rencontre en 1903 reste plutôt dénuée de fondement.
Les éditions Breitkopf & Härtel ne semblent pas s'être intéressées à la proposition de Busoni. Dès qu'il fut rentré de Steinakirchen, Schoenberg annonça à Universal-Edition sa visite pour début octobre; à l'occasion, on joua ses «Pièces pour piano» et des œuvres de Webern. Le 30 novembre, Busoni rencontra Emil Hertzka lors d'un voyage de nuit de Berlin à Vienne. Les deux hommes décidèrent, entre autres choses, la publication de l'Interprétation concertante que Busoni avait établie de la deuxième pièce de l'opus 11 de Schoenberg. Elle parut en même temps que cet opus 11, à la fin de 19 10, après que Schoenberg eut insisté encore une fois pour que la partition soit rapidement mise sous presse.
L'étude des pièces pour piano de Schoenberg (que Busoni ne joua jamais en public) eut un effet stimulant sur ce dernier. «Vos pièces m'ont donné l'idée d'une nouvelle "notation pour piano" qui - je crois - est une "trouvaille"», écrivit-il en post-scriptum d'une lettre du 7 octobre 1909 où il déclarait encore : «Je serai toujours de votre côté, partout où il sera question de vous, ou bien chaque fois que l'occasion de parler de vous pourra m'être donnée.»
Durant l'été 1910 il y eut, une fois encore, un échange de lettres au sujet de l'opus 11. Schoenberg blessa Busoni en le soupçonnant d'être incapable de comprendre ses pièces. C'était plus que Busoni ne pouvait supporter. Il rit aux larmes en lisant la lettre, tant il trouvait comique le doute de Schoenberg: «Votre façon de vous exprimer est nouvelle, mais non votre écriture pianistique qui est plus pauvre. Je crois que vous écrivez bien mieux, par exemple, pour l'orchestre.»
Les deux hommes se rencontrèrent en 1911. Busoni était intervenu vigoureusement en faveur de Schoenberg auprès de ses amis influents, quand il avait appris par Edward Clark que le compositeur avait l'intention de s'établir à Berlin. Busoni assista à deux de ses conférences au conservatoire Stern, lui fit rencontrer Steuermann qui devint son élève, et assista à la création d'une de ses ceuvres au Harmoniumsaal. De son côté, Schoenberg fut si touché par la «Berceuse élégiaque» de Busoni qu'il reconnut, dans son Journal, qu'il avait été injuste à son égard dans le passé. En 1920, Schoenberg orchestra la pièce en vue d'un concert de sa Société pour les exécutions musicales privées de Vienne l'effectif instrumental en est: flûte, clarinette, harmonium, piano et quintette à cordes.
Dans son «Traité d'harmonie», Schoenberg se déclare partisan de Busoni, artiste exceptionnel et courageux qu'il estime et admire. Seulement, il pourrait s'épargner «le tracas de compter ainsi des centaines de gammes». C'est la première allusion à l'«Esquisse d'une nouvelle esthétique musicale», dans laquelle il est question des cent treize gammes à sept degrés exécutables dans l'octave de douze sons. Le 29 janvier, Schoenberg écrivit dans son Journal : «Après-midi: conférence, Busoni était présent. Il me remercia chaleureusement de ma lettre, et fut vraiment très gentil. Il me semble encore possible de m'entendre avec lui. Je l'ai toujours souhaité. Il est, sans aucun doute possible, un homme de génie. Sans conteste, de loin le meilleur parmi tous ceux que j'ai pu rencontrer. Dans ma conférence, j'expliquais ce que j'entendais par génie et talent. Je développais en particulier l'idée que le génie est la forme future de l'humanité. Cela semblait beaucoup plaire à Busoni (ce qui me fit très plaisir!). Il me proposa de venir donner une conférence analogue chez lui devant des invités. Je ne suis pas contre.»
Deux tempéraments de ce genre ne pouvaient cohabiter dans la bonne entente en permanence. Des mauvaises langues, prétendument bien intentionnées, provoquèrent malentendus et heurts. Busoni passa l'été de 1912 à composer dans son bel appartement berlinois du Victoria Luiseplatz. Dans une conversation avec Edward Clark, il développa le projet d'une école de musique à laquelle lui et Schoenberg devaient collaborer. Schoenberg passa ses vacances d'été à Carlshagen, dans l'île d'Usedom, et fut informé de cette conversation par Clark. Il en conclut qu'il aurait à diriger l'établissement d'enseignement; que Busoni, qui était en tournée pendant huit mois de l'année, aurait une classe de composition. Le 27 juillet, Busoni lui adressa une lettre moqueuse sur cette éventuelle relation de supérieur à inférieur: Schoenberg avait repris une idée que lui, Busoni, avait abandonnée, et il avait brodé sur cette idée. Schoenberg répondit par retour du courrier, déclarant qu'il n'avait fait que répéter textuellement les informations reçues de Clark. Il se défendit contre la «réprimande pour ma présomption à vouloir être votre supérieur, sous l'influence d'une vive imagination». Mais plus haut dans cette lettre, on rencontre une expression caractéristique: «Mon imagination, c'est moi, et je ne suis qu'une création de cette imagination.»
En 1910, les éditions Insel de Leipzig acquirent l'«Esquisse» à moitié oubliée que Busoni avait confiée aux obscures éditions Schmidl. Dès lors, elle parut sous le numéro 65 de la célèbre Insel-Bücherei (une préfiguration de nos actuels livres de poche). Cette collection était remarquable tant par la qualité des textes qu'elle proposait que par l'excellence de sa typographie, et chacun de ses titres ne coûtait que cinquante pfennigs. En 1916, pendant la Première Guerre mondiale, alors que l'Italie était déjà entrée en guerre contre les Puissances centrales et que Busoni vivait en Suisse, pays neutre, le petit livre fut réédité, cette fois sous le numéro 202. Schoenberg possédait cette dernière édition du livre, qui allait devenir pour les musicologues un document des plus précieux. Schoenberg annotait parfois ses livres, comme par exemple ceux de Karl Kraus ou la traduction allemande de «Séraphîta» de Balzac. Dans l'«Esquisse» de Busoni, ces annotations prirent l'ampleur d'une grande dissertation indissociable du texte qui en est l'objet.
Ces annotations ne sont pas datées. Nous ignorons si elles furent écrites en une ou en plusieurs fois. Un passage est consacré aux idées de Hans Pfitzner qui, en 1917, avait publié un pamphlet contre l'«Esquisse», sous le titre de «Danger futuriste». Schoenberg était aussi en possession de cet article, et l'avait lu soigneusement. On peut en conclure que les annotations du livre de Busoni ne sont pas antérieures à 1917. Peu importe, toutefois, la date de leur rédaction; elles exposent la position esthétique de Schoenberg d'une façon si remarquable, qu'on ne peut omettre de les examiner en détail.
Les deux musiciens tombent d'accord sur la distinction entre forme historique et forme théorique en musique. À propos de la phrase de Busoni: «Ceux qui ont défini les règles de la composition musicale ont [...] retenu la forme comme symbole, afin qu'elle devienne un emblème, un dogme», Schoenberg note «très bien», et prononce le même éloge pour le paragraphe final de la même page : «N'est-il pas singulier d'exiger du compositeur de l'originalité en toutes choses, et de la lui interdire en ce qui concerne la forme? Rien d'étonnant qu'on l'accuse de manquer de sens formel au moment où il devient original.»
Schoenberg approuve également l'idée de Busoni selon laquelle la musique reproduit les états d'âme, mais non leurs causes: «Pourrions-nous imaginer la description musicale d'un homme pauvre et cependant satisfait? La musique peut traduire la composante psychique, la satisfaction, mais où trouverions-nous la pauvreté, le problème éthique? [...] Cela tient au fait que la "pauvreté" est le résultat de conditions terrestres et sociales qu'on ne trouve pas dans l'éternelle harmonie.»
L'approbation de Schoenberg s'exalte en un «splendide!» là où Busoni évoque la nouvelle musique lyrique, et déclare qu'elle veut commenter des actions scéniques «au lieu d'obéir à sa vocation qui consiste à décrire les états d'âme des protagonistes au cours d'une scène». Et Busoni poursuit : «L'orage se voit et s'entend sans l'aide de la musique, mais elle, elle doit traduire ce qui se déroule d'invisible et d'inaudible dans l'âme humaine au cours de ce phénomène.»
Ayant confirmé cette esthétique dramatique, Schoenberg y ajoute deux phrases qui dépassent de loin les réflexions de Busoni et formulent une partie importante de son credo artistique : «La vraie tâche des arts scéniques est autre: utiliser les ressources théâtrales pour représenter les mouvements intérieurs. Pour l'artiste le théâtre n'est, à strictement parler, rien d'autre qu'un orchestre et le drame une symphonie, car il n'y a qu'une seule espèce d'art.» Il attribue un «assez juste!» aux doutes de Busoni concernant la parole chantée sur scène, et à son postulat que les pièces chantées se situent dans le domaine de l'incroyable «de sorte qu'une impossibilité venant en appuyer une autre, elles deviennent plausible et acceptables».
Puis les deux points de vue se séparent de plus en plus. Quand Busoni veut savoir à quel moment la musique est indispensable sur scène, Schoenberg répond : «jamais». Quand Busoni cite les danses, les marches, les chants et l'apparition du surnaturel dans l'action comme autant d'occasions pour utiliser la musique, Schoenberg conteste : «Ce sont des raisons purement formelles.» Busoni veut que l'opéra soit un monde d'apparence offrant ce que le quotidien nous refuse et Schoenberg, plus confiant que lui dans l'avenir, commente «ce que le quotidien nous refuse encore». Mais ils divergent essentiellement dans leur opinion sur le comportement du spectateur. Busoni, anticipant ainsi les conceptions artistiques de Bertolt Brecht, refuse que le spectateur se livre à une illusion agréable comme à une aventure, et Schoenberg de s'emporter : «Ah, mais si!» À propos de la revendication anti-illusionniste de Busoni : «Pour l'apprécier, le spectateur ne peut considérer l'action théâtrale comme une réalité ; le plaisir artistique ne doit pas se laisser corrompre par l'intérêt humain», Schoenberg remarque: «Le plaisir artistique est la forme suprême de l'intérêt humain.»
Les deux musiciens sont en désaccord sur la question de la notation. Pour Busoni la notation est un moyen ingénieux de conserver une improvisation, et elle entretient le même rapport avec l'improvisation que le portrait avec le modèle vivant. Schoenberg pense que «le portrait possède la vie artistique supérieure, alors que le modèle n'a qu'une vie inférieure». L'interprétation, dit-il, sera meilleure si l'exécutant obéit aux indications de la partition. L'interprète est le serviteur spirituel de l'œuvre; il n'est ni son éducateur, ni son directeur de conscience. «Il doit lire chaque désir sur les lèvres de l'œuvre.» Deux imperfections s'y opposent: celle de la notation, et celle de l'interprète dont l'individualité tend à s'exprimer au lieu de pénétrer à l'intérieur de l'œuvre. «Ainsi l'interprète devient-il le plus souvent le parasite demeurant à la surface quand il pourrait être l'artère dans la circulation du sang.» Des mots bien durs pour répondre à un grand pianiste!
Plus loin, il se heurte à la critique que Busoni adresse au concept de «profondeur»; Busoni attribue ce concept aux apôtres de la Neuvième Symphonie. C'est le point sur lequel Pfitzner l'attaque violemment. Mais Schoenberg a des doutes, lui aussi. Certes, la gaieté de l'«Air du champagne» dans «Don Giovanni», qui selon Busoni renferme plus de profondeur que certaines marches funèbres ou certains nocturnes, provient des profondeurs de la nature humaine autant que de l'épanchement d'un profond sentiment. Mais, d'une façon générale, il faut chercher la profondeur du côté du sérieux plutôt que dans la gaieté.
Le commentaire que fait Busoni d'une remarque de Wagner «Mon malheur est de n'avoir aucune routine» incite Schoenberg à défendre Wagner, tout autant qu'une dextérité technique qu'il considère comme innée, comme constitutive : «Il va de soi qu'une main est plus apte à saisir qu'un pied, qu'une vrille peut faire un trou plus vite qu'un marteau, qu'en un mot des propriétés innées, données et prédéterminées rendent un homme ou un objet aptes à effectuer un travail déterminé, alors que leur absence le rend inapte à l'accomplir. Si un compositeur, un homme doué pour la composition possède, avec le désir de s'exprimer, les moyens de le faire, alors Wagner, qui avait quelque chose de nouveau à dire, était aussi capable de le dire; ce n'est pas de la routine, mais une sorte d'infaillibilité animale qui prouvera toujours le bon emplacement d'un organe. Wagner avait cette aptitude, mais cette aptitude n'avait rien de mécanique!»
Busoni affirme que l'art musical ne peut progresser à cause de nos instruments de musique. Dans cette opinion, Schoenberg décèle une surestimation de l'instrument. Un accord parfait d'ut majeur produit le même effet, dit-il, s'il est donné par un ensemble hétérogène d'instruments, ou par les seuls instruments à cordes. «Des différences essentielles de la sonorité proviennent, non de la composition, mais de l'orchestration. Le genre, le nombre, le caractère et les proportions, le rythme, les accents et tous les autres facteurs dynamisant les différentes parties instrumentales de la composition ont une influence beaucoup plus grande.» Ainsi les points de vue des deux compositeurs sont-ils clairement définis: d'une part le grand instrumentiste, qui est aussi un musicien créateur. De l'autre, un créateur qui n'a pas plus d'estime pour l'instrument que jadis Beethoven pour le «misérable violon» de son interprète Schuppanzigh.
Pour Busoni le changement de caractère musical obtenu par la transposition n'est qu'un leurre : «Lorsqu'un visage familier paraît à une fenêtre, qu'il soit au premier ou au troisième étage ne fait aucune différence.» Schoenberg conteste : «Si on imagine par exemple le motif du Voyageur (exemple: quatre accords) deux octaves au-dessus, chacun s'aperçoit alors d'un changement de caractère. [...] Certes, les proportions restent les mêmes. Mais "dans l'art deux fois deux ne font pas toujours quatre, et seize divisé par deux n'égalent pas huit", ainsi que me répondit un jour Kandinsky comme je lui demandais s'il ressentait le besoin d'un si grand format pour ses tableaux, ou bien s'il y était obligé.»
Cette réponse de Kandinsky figure dans une lettre du 13 janvier 1912 (publiée par Josef Rufer dans son catalogue). Le passage est le suivant : «Mathématiquement, 4 est à 2 comme 8 à 4 ; artistiquement, non. Mathématiquement, 1 + 1 = 2 ; artistiquement, 1 - 1 peut être égal à 2». Schoenberg a donc cité de mémoire. Mais la question de la transposition l'incite encore à d'autres opinions et commentaires. Des tonalités transposées sont, en un certain sens, des tonalités étrangères si on les traite comme telles. Si on s'y employait avec esprit de suite, celam pourrait être un avantage sur le plan artistique. Et Schoenberg utilise une comparaison empruntée au domaine de l'optique. Dans une aquarelle, on peut obtenir des effets puissants en peignant certains endroits à l'huile. Mais si l'on obtient un effet parfait avec l'aquarelle, on n'a nul besoin d'un tel artifice.
La comparaison avec le domaine des relations humaines est moins convaincante: «Je peux considérer mon frère comme mon ami fidèle et mon confident, et agir en fonction de ce point de vue. Mais je peux dire aussi: je choisis mes amis moi-même selon ma propre nature; ce parent est proche de moi par le hasard de la naissance, je ne l'ai pas choisi moi-même, il n'est ni mon ami ni mon confident.»
Schoenberg polémique dans le détail contre les cent treize gammes que Busoni a identifiées comme possibles à l'intérieur de l'octave, et qui comportent sept degrés. Schoenberg considérait les tons ecclésiastiques comme une erreur originelle de l'esprit, et les gammes de Busoni comme des constructions arides. Face aux nombreuses règles régissant ces cent treize gammes et qu'un musicien doit apprendre pour les appliquer, que devient la liberté revendiquée par Busoni ? Et Schoenberg de citer ironiquement l'image que Busoni évoque pour caractériser la musique au début de son «Esquisse», celle d'un enfant qui plane, qui n'est pas soumis à la pesanteur. Construits sur la tonique ut, il faudrait élaborer minutieusement les rapports, par exemple dans une tonalité ut-ré bémol-mi bémol-fa bémol-sol bémol-la-si-ut. «Sinon je n'aurais qu'un nébuleux caractère exotique, et non un caractère artistique.»
C'est à cet endroit que Schoenberg place sa réflexion sur le solo introductif de la flûte dans «Der kranke Mond» de «Pierrot lunaire». «Savoir si cette mélodie est belle ou bonne n'est pas le problème. Je n'affirme pas qu'elle l'est, je le crois simplement. Ce qui est certain, c'est qu'elle n'a rien à voir avec la liberté divine de l'enfant qui plane, et pas davantage avec ce qui s'évaderait de la prison de ses gammes! Ici, pas de méthode, mais seulement l'inspiration (si quelqu'un veut y voir une méthode, je jurerai qu'il n'en est rien!). Je n'avais pas besoin d'élaborer une tonique ni un autre son, j'ai pu utiliser chacun des douze sons, je n'ai pas été obligé de me mettre dans le lit de Procuste d'une phrase motivique, je n'ai pas eu besoin de tenir compte de conclusions, de sections, de débuts et de fins de phrase. Bref, cette mélodie peut déplaire à beaucoup de gens, mais tout le monde admettra qu'elle est «plus libre» que bien des mélodies composées dans une des cent treize tonalités. Peut-être est-ce quand même cette préférence de la liberté qui dérange Busoni. [...] La liberté dont il parle n'a pas apparemment trouvé son législateur [...]».
Schoenberg ne porte pas de jugement détaillé sur les idées révolutionnaires que présente la fin de l'«Esquisse» de Busoni, sur les tiers et les sixièmes de ton, sur l'instrument de musique électrique de Thaddeus Cahill. Sa dernière annotation ne se rattache que sommairement au «matériau inaccoutumé» que salue Busoni. Après avoir constaté que Busoni surestime la valeur de ce matériau cependant que Pfîtzner le sous-estime, Schoenberg termine son commentaire sur la «Nouvelle esthétique musicale» par un éloge du métier. Ce commentaire confirme et diversifie ce qu'avait inauguré en 1911 le premier chapitre du «Traité d'harmonie», dans lequel le métier est opposé à la théorie: «Quel bon artisan ne se réjouit pas d'un beau matériau? Et quel bon musicien n'est pas fier d'être aussi un bon artisan? L'ébéniste et le luthier se réjouissent d'un beau bois, le cordonnier se réjouit du cuir, le peintre de la couleur, du pinceau et de la toile, le sculpteui se réjouit du marbre - ils pressentent tous l'œuvre à venir, elle est devant eux. Tous savent qu'il manque encore quelque chose; l'œuvre est encore à faire. Mais dans le matériau, ils voient son avenir. L'esprit est éveillé - peu importe qui l'éveille - mais puisqu'il est là, on peut clamer "Alleluia".»
Ainsi la boucle est bouclée. Car Schoenberg avait déjà introduit la notion de matériau sous un tout autre rapport. Busoni déclarait: nous admirons Mozart, le chercheur et l'inventeur, mais non sa tonique, ni sa dominante, ni ses développements, ni ses codas. Schoenberg répond: «Si, aussi!... Conçu pour façonner l'intemporel, le matériau séduit; il devient respectable pour nous. Il est le vestibule matériel de l'esprit.»
Respect du matériau. Respect du métier. Schoenberg en est imprégné depuis sa jeunesse. Il a aimé manier le cuir, la toile, le papier, les ficelles quand il reliait avec art ses livres et ses partitions. Il a fabriqué des étagères, des tables, des fauteuils, et même un escabeau à roulettes. Il coupait des toiles de jute qu'il fixait sur des cadres en bois et qu'il coloriait. Il bricolait et dessinait. Il était peintre, utilisait l'huile, les crayons de couleur, les gouaches et dessinait avec fusain, plume et crayon. Tout ce qui relève de la pratique lui était précieux, et il avait en horreur tout savoir strictement théorique. «Qui oserait ici réclamer une théorie!» C'est sur cette phrase que s'achève le ÇTraité d'harmonieÈ.
Ainsi son interprétation du concept de matériau le sépare radicalement de Busoni. Pour lui le matériau, c'est le son encore non façonné; pour Busoni, la sonorité inaccoutumée.
Comme son exemplaire de l'«Esquisse» de Busoni, Schoenberg emplit d'annotations, parfois très longues, son exemplaire du «Danger futuriste» de Hans Pfitzner. Un texte plus important, intitulé Fausse alerte, fut constitué à partir de ces annotations. Il compte plus de sept pages d'une écriture serrée, mais est resté inachevé. Sur le manuscrit, Schoenberg écrivit plus tard que la brochure de Pfitzner lui apparaissait de plus en plus médiocre à mesure qu'il la lisait, et qu'il avait fini par juger inutile d'y répondre. Toujours est-il que les annotations, comme l'article, contiennent quelques réflexions capitales. Schoenberg dirige ses attaques d'abord contre la méthode polémique de Pfitzner. Puis il observe que sa riposte n'est pas l'expression d'un parti pris, car lui et son ceuvre n'ont pas été cités nommément, ni par Busoni ni par Pfitzner; rien ne l'oblige donc à se sentir visé. «Si j'avais effectivement un point de vue partisan, Busoni et Pfitzner seraient mon parti, dans la mesure où ils m'apparaissent comme deux des rares tempéraments musicaux remarquables de notre temps», écrit-il. Puis il prend la défense de Busoni, contre Pfitzner qui lui reproche «ses coq-à-l'âne et ses zigzag». Même si l'«Esquisse» n'est pas clairement composée en chapitres et paragraphes, son projet reste clair et simple comme le plan adopté. Pour Schoenberg, Busoni a une vision de l'avenir de la musique qu'il s'efforce d'exposer avec les moyens appropriés; il allègue que l'esprit et le sentiment sont impérissables et que la technique, le goût de la présentation sont éphémères; il soumet l'élément variable à une critique qui n'est jamais négative; «au contraire, elle va dans le sens d'une vision générale avec une grande richesse d'idées et aboutit à l'élaboration si ce n'est de lois esthétiques, du moins de thèses compréhensibles» - ce que dément Pfitzner. Puis Schoenberg énumère les idées directrices et les sujets retenus par Busoni: la notation, la transcription, la musicalité, le sentiment, le goût, le style, la profondeur, la routine et les (nouveaux) instruments techniques. Peut-être, pense Schoenberg, Busoni aurait-il mieux fait d'intituler son article «Suggestions pour une nouvelle esthétique».
Schoenberg précise que la polémique engagée par Pfitzner est fondée sur son aversion pour les innovations musicales négligeant certains éléments traditionnels. Toute innovation est qualifiée de futuriste, et le futurisme c'est le danger, c'est le kitsch. Comme Pfitzner ne donne pas de nom de compositeurs, Schoenberg se présente comme volontaire pour figurer parmi eux. Il ne connaît pas la musique des futuristes italiens, mais suppose que Pfitzner vise des compositeurs tels que Busoni, Scriabine, Stravinsky «et un autre jeune compositeur russe dont j'ai oublié le nom» - Schoenberg pense probablement à Serge Prokofiev, enfin lui-même.
Le dernier paragraphe du fragment définit l'attitude et l'esthétique de Schoenberg : «Que l'art n'ait pas de but, c'est un postulat qui fut juste aussi longtemps qu'il n'était pas universellement connu. Aujourd'hui c'est un lieu commun et, de ce fait, on peut dire qu'il est devenu relativement faux (Pfitzner dirait que c'est une argumentation futuriste.) Eh bien non, cela se passe comme ceci : de même que toute connaissance humaine, une telle proposition n'est jamais entièrement juste, ce qui devient manifeste dès lors qu'elle n'est plus originale. Il faut savoir que l'art a toujours un objectif, du moins aussi longtemps qu'il ne l'a pas atteint. Et si l'ensemble laisse apparaître des signes indiquant l'objectif atteint, signes qui montrent que l'art était orienté vers cet objectif de telle sorte qu'il a pu y parvenir, alors, chemin faisant, l'art a cet objectif également, et puisqu'il est en constant mouvement, i! l'a toujours eu. Ainsi peut-on constater qu'après tout, il est tout à faii illogique de parler de finalité en art. En considérant les choses sur une période plus longue, on parvient à cette vue abstraite que le développement se fait par la réalisation de multiples petits objectifs. En croyant que ce développement doit permettre de s'élever, on commet, au pis, une erreur sentimentale.» D'une façon générale, Schoenberg estime que Pfitzner a mal compris Busoni. Il lui en veut également d'utiliser des adjectifs tels que «sympathique» et «antipathique» dans une discussion aussi sérieuse.