Dominik Sackmann

LA 5ÈME SYMPHONIE
DE HANS HUBER


ERSTE SERENADE
(Sommernächte)
en ré majeur, op. 86


La Symphonie no 5 en fa majeur d'Huber n'a pas de numéro d'opus parce qu'elle ne fut jamais publiée. Elle fut créée à Bâle le 11 février 1906. Le critique du Basler Nachrichten, le musicologue Karl Nef, fut enthousiasmé par l'œuvre et l'exécution dirigée par Hermann Suter avec le violoniste solo Hans Kötscher. Seul le souhait de Nef «que le 'violoniste de Gmünd' reçoive la même réception joyeuse ailleurs» fut confondue. Quand la symphonie fut jouée à Beme en février 1919, le compositeur fit remarquer dans une lettre de Locarno au sujet de ses origines: «J'ai trouvé le matériel - de même que le poème de Kerner - dans une vieille collection de chansons allemandes que j'ai découverte par hasard dans la bibliothèque de madame Schwartz à Mulhouse. [...] Vous seriez peut-être aussi intéressé à connaiÎtre l'existence d'une lettre du maire de Gmümd, me demandant l'œuvre et transmettant les remerciements reconnaissants des conseillers municipaux. [...] Si un violoniste de chambre donne la pièce, vous ferez l'expérience d'une joie unique. J'ai toujours aimé la pièce.» Avant une autre exécution à Bâle à l'automne de 1919, il écrivit à une ancienne élève: «Comme j'aimerais être une mouche sur le mur, écoutant indiscrètement le petit violoniste! Croisez-vous les doigts pour votre vieux professeur!»
Avec ces mots, Huber souligna lui-même les traits spéciaux de cette symphonie «romantique». Elle repose sur un poème du poète de l'école souabe Justinus Kemer (1786-1862) qui, à son tour, est basé sur une légende. Même la forme externe de la symphonie, avec ses trois mouvements, indique un mélange de symphonie et de concerto. Huber préférait cependant un «violoniste de chambre» à un soliste conventionnel et il donna ainsi une indication - qui à ce temps était très nécessaire - que ce n'était pas un concerto virtuose pour violon dans le sens du 19e siècle mais plutôt une symphonie avec instrument solo. Quand il fit la critique de la création, Kart Nef avait déjà été frappé par la ressemblance avec la symphonie «Harold en Italie» (avec alto obbligato) d'Hector Berlioz. Le choix d'instrument solo n'était pas seulement conditionné par le titre du poème duquel il tira son inspiration; dans la partition, la ligne de la partie solo est toujours marquée «le violoniste»: le violoniste est ainsi lui-même le protagoniste du poème de Kerner. Les structures formelles extrêmement libres des trois mouvements, qui ne font que montrer une unité de forme de sonate, semblent être une conséquence de la décision du compositeur de suivre la présentation musicale de l'histoire. Quoi qu'il en soit, Huber évita avec succès une simple répétition du conte; des parallèles directs avec les mots du poème ne se trouvent que rarement. Le matériel sous-jacent apparaît plutôt sous forme stylisée. Le second mouvement réduit l'intrigue à une opposition de caractère entre la danse et la marche funèbre, et sert ainsi de mouvement lent et de scherzo d'une symphonie traditionnelle - avec des contributions répétées du «violoniste» avec des récitatifs instrumentaux extrêmement expressifs. Le programme à la création donna le titre de «Des Geigers Lieder, Liebe und Leid» (Chansons, amours et peines du violoniste) à ce mouvement. Le premier mouvement se divise en trois sections: «Heimat (Pastorale)» [«Au pays (Pastorale)»], «Ausfahrt (Thema mit Variationen: Durch weite Ebenen - durch Wäilder - begegnet dem fahrenden Kriegsvolk - begegnet seiner späteren Geliebten - wird vont Sturm überrascht)» [«Départ (Thème et variations: à travers de larges plaines - à travers les bois - rencontre de soldats en déplacement - rencontre sa future - est surpris par l'orage)»] et «Wunder in der Kapelle der Heiligen Cäcilia» («Miracle dans la chapelle de Ste-Cécile»). Le finale compte aussi trois parties: Andante marciale [Henkersmarsch (Marche du bourreau)]; Allegro appassionato; Maestoso [Das zweite Wunder (Le second miracle)].».
La cohésion de l'œuvre en entier est assurée moins par sa forme externe que par le développement perceptible sans couture d'une cellule germinale fondamentale, dont le patron rythmique (bref-bref-long) revient constamment, soit varié ou dans sa forme originale; cela unit tout ensemble à un niveau de base. Le développement thématique constant trouve d'autres manifestations externes dans le fait que le début des second et troisième mouvements utilise des éléments qui apparurent à la fin des mouvements précédents. En termes d'organisation musicale aussi, l'œuvre n'est pas construite comme une confrontation entre des blocs et contrastes mais plutôt comme une présentation de mélodies auxquelles d'autres instruments répondent immédiatement et qu'elles poursuivent. Cette polyphonie permanente est d'autant plus intense qu'Huber passe généreusement et avec des sauts soudains à travers des tonalités différentes - une caractéristique qui lui a gagné la censure pour avoir une «tendance vers le bizarre» pendant ses années d'études à Leipzig. Malgré le caractère unique de conception et sa richesse d'inspiration de l'œuvre, la manière dont Huber traite les sons de l'instrument orchestral rappelle parfois Richard Strauss qu'il admirait beaucoup. Chose intéressante, Huber - qui, comme le démontre la structure de cette symphonie, avait un bon penchant pour la nouvelle école allemande - emprunta aussi de Brahms, surtout en ce qui concerne le relâchement de la texture orchestrale. Les flûtes et clarinettes en particulier jouent un rôle important. Dans une notice néchrologique de Hans Iluber, sa technique d'instrumentation fut décrite à juste titre comme une «chimie de la couleur tonale». Dans la critique de la seconde exécution à Bâle en 1919, Karl Nef mit un accent spécial sur le caractère folklorique de la symphonie qui, cependant, ne menace jamais de s'abaisser à la banalité. Dans cette ceuvre, qu'il considérait comme l'une des meilleures du compositeur, Nef crut aussi pouvoir discerner des traits autobiographiques: la figure du Violoniste de Gmünd est associée en passant à Hans Huber, le compositeur populaire de musique de fêtes et le professeur respecté qui avait luimême été actif comme soliste. Le programme dans lequel «Le Violoniste de Gmünd» fut créé renfermait aussi des pièces de quatre autres compositeurs suisses importants de l'époque. Si, aujourd'hui, nous désirons honorer la réussite symphonique d'Huber dans le cadre de l'histoire de la musique suisse, nous pouvons facilement nous joindre à l'opinion de Karl Nef. «L'œuvre la plus importante de ceux qui sont représentés ici est inconditionnellement la nouvelle symphonie romantique de notre propre Hans Huber.»


Les années entre 1880 et 1900 furent l'âge d'or de la sérénade de la fin du romantisme. Ce genre hybride fut cultivé à côté de la symphonie et du poème symphonique; de nouveaux langages pouvaient y être explorés et d'anciennes techniques rajeunirent. Le choix des forces instrumentales montra aussi une grande diversité - de pièces pour piano à des sérénades à plusieurs mouvements pour grand orchestre. Les deux premières sérénades orchestrales de Johannes Brahms furent un point de départ pour ce nouveau genre. Ces œuvres étaient des études préliminaires pour sa production orchestrale à venir mais des compositeurs ultérieurs associèrent souvent l'exécution de sérénades au désir de compréhension immédiate de la part du public aux concerts symphoniques qui se répandaient partout, et à une aspiration à une montée rapide de popailarité. Quoiqu'elles fussent intimement reliées à la musique symphonique absolue moderne de l'époque, ces sérénades évitaient nettement les messages idéologiques dont la symphonie se faisait alors Je porte-parole. A l'occasion, les compositeurs se rappelaient aussi de la fonction première de la sérénade - une pièce de "sérénade" pour exécution en plein air que les Sérénades, Divertimentos, Cassations et Notturnos de Mozart exemplifient clairement.

La
Sérénade «Nuits d'été» de Hans Huber doit son existence à une combinaison de tous les courants et traditions mentionnés ci-dessus; même le titre «Nuits d'été», qui devait être courant dans la musique des années à venir, contient une référence indirecte au ton détendu original - pour ainsi dire, à l'atmosphère de telles pièces de plein air. Sa brillante tonalité de mi majeur semble le suggérer et le titre du troisième mouvement en apporte une autre confirmation: «Nocturno». Nous remarquons ainsi l'évitement des implications profondes trouvées dans les noms des symphonies d'Huber: «Héroïque», «Académique», «Romantique», «Symphonie Tell» et «Symphonie Suisse». La sérénade fut composée en prévision d'une seconde symphonie projetée qu'Huber abandonna ensuite. Cette œuvre est seulement précédé par la «Symphonie Tell» de 1881 mais, après celle-ci, Huber semble avoir eu de grandes difficultés à écrire des symphonies et deux décennies devaient s'écouler avant que sa véritable seconde symphonie op. 115 ne voie le jour. En fait, la Sérénade «Nuits d'été» sortit à un moment où le compositeur, qui était alors à son compte à Bâle, était à la recherche d'un gagne-pain assuré; il avait ainsi toutes les raisons du monde de mettre ses espoirs dans une exécution de la sérénade qui eut lieu dûment le 15 mars 1885.
Un admirateur ultérieur du compositeur décrivit les deux premiers mouvements de la Sérénade «Nuits d'été» d'Huber comme suit: «de toutes les œuvres d'Huber, la plus remplie de poésie.»

© Dominik Sackmann 1998
(Traduction: Arlette Lemieux-Chené)