Dominik Sackmann

LA 3ÈME ET LA 6ÈME SYMPHONIE
DE HANS HUBER







«Huber obtint ses effets les plus grands et les plus durables dans ses symphonies. Aussi étrange que cela puisse sembler, on peut cependant discerner que, même dans ses symphonies, Huber se révèle être suisse jusqu'à la moelle des os.» (W. Reitz) Les huit symphonies de Hans Huber sont les œuvres où il s'exprima le plus clairement et avec la plus grande individualité. Elles couvrent une période d'une quarantaine d'années; après la «Symphonie Tell» (1881) et une «Symphonie en la majeur» (1890, rejetée par le compositeur) vint, après une pause considérable, la célèbre Symphonie Böcklin en 1900. Huber ne trouva vraiment sa propre voix qu'avec sa «Troisième symphonie» qu'il appela l'héroïque et qui fut créée à Bâle le 9 février 1902 sous la direction du compositeur. Avec cette œuvre, Huber s'établit comme un pionnier reconnu de la musique symphonique suisse, un modèle pour les jeunes compositeurs dont Fritz Brun, Hermann Suter et Volkmar Andreae. La franchise typiquement suisse et la proximité de la nature sont supposé avoir laissé des traces dans la symphonie en do majeur d'Huber mais l'historien musical Karl Nef a aussi réussi clairement à identifier des éléments suisses dans le style mélodique d'Huber: «Comme les fermiers des Alpes, les chansons et le sondu cor alpin, résonnant de sommet en sommet et à travers les vallées, l'invention thématique de notre maître compositeur aime à errer dans des formations d'accords.» Cet emploi persistant d'accords, allié à une tendance à se mouvoir en grands intervalles plutôt qu'à petits pas cantabile, poussa des commentateurs contemporains à interpréter l'héroique comme une symphonie typiquement suisse. Il leur était cependant clair aussi que les thèmes de l'œuvre manquaient souvent de facilité à être mémorisés et d'individualité et que la force de la symphonie reposait surtout dans les domaines de sa construction et de son instrumentation.

Le premier mouvement de la symphonie (sans introduction) est presque identique à l'ode symphonique «An das Vaterland» (A la mère patrie), une œuvre orchestrale qu'Huber avait composée trois ans plus tôt et qui renfermait les sections suivantes: «Au petit matin - dans la force de la jeunesse - dans l'erreur - dans la bataille - dans la victoire - dans son jeu et son chant - dans le bonheur paisible.» Seule la section «Dans son jeu et son chant» fut omise du premier mouvement de la symphonie. Originellement - même à la création - l'introduction à l'ode servit ayssi d'introduction à la symphonie. Plus tard cependant, elle fut remplacée par la présente introduction à la symphonie, qui est identique à l'Adagio de l'ouverture de l'opéra «Weltfrühling» (Le printemps du monde). Dans le but d'établir un lien plus étroit entre cette introduction lente et la symphonie, Huber ajouta des allusions au thème principal du premier mouvement (et de l'œuvre en entier) dès le début. Dans le troisième mouvement de la symphonie, le thème de la variation de la «Tänzerin» (Danceuse) provient de la partition de festival populaire «Der Basler Bund 1501» (L'Union de Bâle de 1501) créée le 13 juillet 1901, l'année de la composition de la symphonie. En forme de sonate traditionnelle, le premier mouvement exprime le conflit entre deux aspects de l'«héroïque»: entre l'«idéal, développement interne [d'une] nature hérdique» et la «réalité externe passionnée».
Dans le second mouvement, le thème principal de la symphonie est associé au «Requiem aeternam», l'introït grégorien de la messe de requiem, et ainsi à l'élément religieux de l'héroïsme. Une Totentanz vient ensuite qui, dans la ville des séries de peintures du même nom de Hans Holbein (1497-1543), était aussi immédiatement comprise comme une allusion à la patrie. Le mouvement est ici construit comme une série de variations surle motif grégorien du «Dies irae», au cours duquel une figure imaginaire de la «Mort» s'empare de plusieurs personnes: un enfant (utilisant la chanson Komm, lieber Mai [Viens, cher mai] KV 596 de Mozart), un homme, un vieil homme, un héros (ici le thème des variations est entendu avec le thème du «héros»), une danseuse (avec la «Rosentanz» de la Musique du festival de Bâle), un étudiant (avec une allusion à la chanson Gaudeamus igitur), un homme savant, un nigaud et un homme puissant (symbolisé par La Marseillaise). Le finale fut interprété comme un purgatoire de Dante suivi d'une transfiguration où, après des rappels orageux de ce qui s'est passé, le thème du «héros» apparaît finalement; le mouvement se calme après et finit par un «Sanctus» lyrique présentant une soprano solo et un accompagnement d'orgue obbligato. Une critique ultérieure, de 1910, fit l'éloge des premier et dernier mouvements, disant: «qu'Huber frappe ici parfois des notes qui se trouvent parmi les plus profondes émises jusqu'ici en musique». La troisième symphonie est dédiée à Richard Strauss; elle se révèle ainsi être un pendant à «Ein Heldenleben» de Strauss. Dans la transition au second thème du finale, Huber semble aussi avoir fait allusion bien intentionnellement au passage flebile de «Don Juan» (1889) de Strauss. La manière dont le thème du «héros» est formulé dans le finale rappelle aussi le début du même poème symphonique. Avant la première guerre mondiale, l'héroïque d'Huber fut souvent jouée avec grand succès aussi en Allemagne, comme produit du «chef de l'école suisse des compositeurs». Le «Sanctus» final fut de plus joué aussi aux cérémonies soulignant le décès d'Huber, à Vitznau sur le lac de Lucerne et ensuite à la cathédrale de Bâle.

Dans l'ombre des bien établies Symphonies no 2 et no 3 sortirent la Symphonie no 4 (1903) - une symphonie «académique» pour cordes qui fut originellement jouée comme un concerto grosso - et la
Symphonie no 5 (1906), la symphonie à programme littéraire «Der Geiger von Gmünd» (Le violoniste de Gmünd), une contrepartie des œuvres antérieures d'Hubert inspirée par les peintures de Böcklin et de Holbein. 1911 vit l'apparition de la sixième où - pour la première fois - Huber renonça consciemment à tout programme et à toute allusion dans le titre ou le sujet. Les deux symphonies tardives no 7 (1917) et no 8 (1921) sont clairement différenciées de ces œuvres de la période intermédiaire.
La sixième symphonie fut créée à Bâle le
9 novembre 1911 sous la direction d'Hermann Suter. Le manque même d'indication de contenu fut accueilli positivement par le publie du temps. Il faut reconnaître qu'on a soupçonné qu'il y avait une source innommée d'inspiration mais la tonalité de la majeur était une description suffisante de cette «heureuse, joyeuse» «symphonie de pure musicalité» qui «possède toutes les caractéristiques et les mérites de l'art d'Huber», On a particulièrement mentionné «la capacité rythmique inépuisable» du compositeur ainsi que sa "chaude imagination mélodique et son sens très raffiné de la sonorité.
C'était précisément cette fraîcheur juvénile - d'un compositeur qui avait presque soixante ans - qui captivait tant le public. Ernst Isler écrit en conclusion dans sa critique dans le Schweizerische Musikzeitung: «J'ai dû admettre que l'étranger qui occupait le siège à côté du mien au concert avait raison de dire que c'est la plus belle des symphonies de notre Hans Huber.»
«Au début effervescent, nous savons immédiatement où nous sommes. Puis nous entendons deux thèmes, l'un d'une énergie fourmillante, l'autre comme d'une chanson. Le second est un enfant de la Suisse, un petit cousin de plusieurs thèmes semblables des partitions de festival, des Lândlers et valses d'Huber.» «Le second mouvement orchestre un œil de bœuf. Les mélodies de danse élégantes, fortement contrastantes, tourbillonnent somptueusement et avec entrain.» On reconnut au troisième mouvement profondeur et variété tonale mais les critiques remarquèrent que, comparé aux autres mouvements, celui-là était un peu trop long. Pour le finale, qui suit immédiatement, Huber retourna à la formule réussie qu'il avait utilisée dans sa seconde symphonie, la Symphonie Böcklin: il la moule dans une introduction suivie d'un thème avec 14 variations, aboutissant finalement à une «bacchanale fantastique» alternant en mesures binaires et ternaires. Ce n'est ainsi qu'à la toute fin qu'on trouve un contrepoids tragique au début humoristique de cette œuvre en quatre mouvements. Avant d'y arriver - et ceci pourrait être la clé qui révèlerait un programme «caché» - les basses jouent la chanson d'étudiants «Gaudeamus igitur».

© Dominik Sackmann (Traduction: Arlette Lemieux-Chené). Textes en allemande et en anglais dans le booklet.