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PREMIÈRE À VIENNE

 

 

 

Pendant les répétitions, l'atmosphère n'était de loin pas aussi enthousiaste que pour les deux ouvrages précédents de Strauss. Lui-même, peu certain de lui, était prêt aux concessions et de nombreux morceaux ne furent gardés que grâce à Genée. C'est qu'aussi, les circonstances n'étaient plus aussi favorables qu'à l'époque de «Karnaval in Rom», l'ouvrage précédent: de sombres nuages s'étaient accumulés sur Vienne; l'énorme expansion industrielle et commerciale accompagnée de développements financiers irréfléchis avait provoqué une surchauffe de la conjoncture. Dans la splendeur de l'Exposition Universelle, la Bourse craqua le «Vendredi Noir» 9 mai 1873, des fortunes s'engloutirent et ce fut une vraie épidémie de suicides. A tous ces gens ruinés ne restait plus qu'à chanter le credo de la nouvelle opérette: «Heureux celui qui oublie, ce que l'on ne peut quand même pas changer»... Quelle atmosphère pour imposer un nouvel ouvrage!
La première, à Pâques, le 5 avril 1874 [nel Theather an der Wien, a sinistra nell'acquarello di Johann Varrone - 1888] fut pour Strauss un
succès personnel, mais l'accueii, sans être un «four noir» comme on l'a écrit, fut tiède. Lors du lever du rideau sur le premier acte, on entendit crier des galeries: «Zut! encore une chambre!» La critique, généralement opposce au livret, se montra très partagée quant à la musique, le redoutable Hanslick allant jusqu'à proclamer que ce n'était qu'un pot-pourri de motifs de valses et de polkas. Seul le «Neue Wiener Fremdenblatt» reconnut les progrès de Strauss dans le traitement des scènes d'ensemble et donc dans la direction d'un meilleur théâtre musical. Les réticences ne provenaient-elles pas au fond du fait que les Viennois ne s'étaient que trop bien reconnus dans ces personnages, qui leur rappelaient péniblement l'heureuse insouciance des beaux jours d'avant le krach financier? Steiner, qui n'y croyait plus, arrêta les frais après ouzejours, pour faire applaudir la Patti dans l'«Ernani» de Verdi, les amis de Strauss obtinrent une reprise, qui amena la pièce jusqu'en juin; mais début juillet, l'ouvrage triompha à Berlin dans des proportions incroyables, puis ce fut Hambourg, Vienne s'échauffant progressivement. Restait Paris...
 

 

Avec «Fledermaus», Strauss fixe les règles fondamentales de la grande opérette classique. Après la grammaire qu'était «La Belle Hélène» voici maintenant le livre d'exercices, accompagné du livre du maître, où se trouve la solution des problèmes. En 1894, Gustav Mahler dirigea «La Chauve-Souris», la dogageant de toutes les scories qui s'y étaient agglutinées et la faisant entrer enfin chez elle: à l'Opéra de Vienne.
Robert POURVOYEUR, Les étapes de la création de «La Chauve-Souris», in «Avant-Scène Opérette», février 1983, pp. 30-31.
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