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Alain Patrick Olivier

LA REDECOUVERTE DE
«DER STEIN DER WEISEN»

[ASO 196, pp. 119-121]

 

 

La partition

 

Le 11 septembre 1790, Emanuel Schikaneder fait présenter, dans son Theater anf der Wieden, un «nouveau grand opéra héroïco-comique en deux actes» intitulé Der Stein der Weisen, oder die Zauberinsel (La Pierre philosophale, ou l'Ile enchantée). À la fois directeur du théâtre, librettiste, metteur en scène, et acteur-chanteur, son nom apparaît en évidence sur les affiches, mais aucun musicien n'est nommé comme auteur de la musique. Parmi les deux copies manuscrites connues jusqu'alors, et conservées dans les bibliothèques de Berlin et de Francfort, l'une porte le nom de Mozart, tandis que l'autre n'indique aucun nom.
On savait, en effet, depuis longtemps que Mozart avait orchestré, sinon composé le duo «Nun, liebes Weibchen, ziehst mit mir», K. 625/592a au printemps 1790, dont il existe un manuscrit autographe â Paris. Mais on attribuait jusqu'alors l'essentiel de la musique au ténor Benedikt Schack. Ce fut une surprise lorsque le musicologue David Buch retrouva en 1996, au milieu d'une collection de partitions rendues par la Russie à l'Allemagne en 1991, un manuscrit complet de l'opéra, conservé aujourd'hui à Hambourg, dans lequel chaque numéro est attribué à un compositeur.
Non seulement le duo, mais une partie du finale de l'acteII sont attribués à Mozart. Les autres compositeurs nommés sont Benedikt Schack, Franz Xaver Gerl, Johann Baptist Henneberg et Emanuel Schikaneder. Désormais, la contribution de Mozart ne peut plus apparaître comme purement ponctuelle. Il faut le voir véritablement comme le participant d'une œuvre écrite collectivement. Il ne s'agit évidemment pas d'affirmer que «Der Stein der Weisen» doit être considéré comme un opéra mozartienau même titre que «Die Zauberflöte», mais cette découverte est importante, parce qu'elle remet en question la notion même d'auteur, telle que nous la comprenons. Le compositeur n'est pas une seule personne, mais plusieurs, et la musique se donne comme l'œuvre d'un travail à la fois collectif et anonyme, dans lequel chacun des membres de la troupe intervient, le librettiste, le ténor, la basse, et le kapellmeister du théâtre. Et la collaboration semble avoir été harmonieuse, puisqu'elle débouche sur le projet de «Die Zauberflöte» un an plus tard, avec la même équipe.
En même temps, il est troublant de relever un très grand nombre de parallèles entre les différents numéros qui ne sont pas attribués à Mozart et certaines pages de «Die Zauberflöte». Curieusement, les ressemblances musicales apparaissent moins dans les trois morccaux attribués à Mozart, que dans d'autres passages de l'œuvre. L'air d'Astromonte ressemble, par exemple, étonnement à celui de l'air de la Reine de la Nuit les vocalises y sont semblables. Il existe encore plusieurs autres passages du même ordre.
La question se pose évidemment de savoir si Mozart n'aurait pas même participé à l'écriture d'autres numéros. On sait que Benedikt Schack, par exemple, était l'un de ses amis intimes. Mozart écrivit ses Variations pour piano K. 613 sur un thème emprunté à l'un de ses singspiels («Der dumme Gartner»). Une biographie de 1811 indique que Mozart, de passage chez Schack, s'amusait à écrire de la musique pour l'opéra que le ténor était en train de composer, en attendant que celui-ci ait fini de s'habiller pour la promenade. S'agissait-il de «Der Stein der Weisen»? Constance demanda au ténor de préciser quels passages de l'opéra avaient été écrits par son mari défunt, mais il mourut malheureusement avant d'avoir pu lui répondre, de sorte que la question ne sera sans doute jamais vraiment éclaircie.
La découverte de David Buch est aussi l'objet de critiques. Car, comme il est possible que les deux passages du finale de «Der Stein der Weisen» soient de la main de Mozart, il est possible également qu'il s'agisse d'une attribution erronée du copiste. Il existe dans le catalogue Köchel une quantité de pièces douteuses de ce type. Dans le cas du duo, un manuscrit autographe de Mozart prouve son authenticité, mais ce n'est pas le cas pour le finale. Il revient donc aux musicologues de prouver soit l'authenticité soit l'inauthenticité de ce passage, et cela a conduit à de vives controverses. [Lors du Congrès de Salzbourg 1999, le point de vue de David Buch s'est affronté à celui de la mozartiemie Kaye Ferguson. Les actes sont à paraitre dans le Mozart-Jahrbuch 2000.] Le problème est aussi qu'il n'y a pas de différence de nature spectaculaire, dans cette partition, entre la musique de Mozart et celle de ses amis plus ou moins dilettantes. L'œuvre possède une certaine unité stylistique, et la rupture musicale due à l'intervention d'un «génie» reste à mettre en évidence.
 

L'intrigue

 

Tout comme «Die Zauberflöte», «Der Siein der Weisen» emprunte son contenu au recueil de Wieland «Dschinnistan», sans qu'il soit possible de le réduire au seul conte de la «Pierre philosophale». L'action se situe en Arcadie. Des bergers et bergères se rassemblent autour du temple d'Astromonte, le dieu protecteur du pays. Le prêtre Sadik s'apprête à célébrer l'office, lorsque deux couples pénètrent dans le temple: Nadine et Nadir, Lubano et Lubanara. Les premiers ne sont que fiancés, tandis que les seconds sont tout, juste mariés. Or, l'accès du temple est interdit aux jeunes femmes ayant perdu leur virginité. Sadik fait remarquer à Lubanara qu'elle a mis ainsi son mari en danger de mort, et qu'elle se soumet elle-même à la colère d'Astromonte. Il reproche aussi à Nadir et Nadine, ses enfants, de ne pas l'avoir averti du statut véritable de Lubano et Lubanara.
A ce moment paraît un génie, descendu du ciel sur un nuage, et porté par un oiseau. Il annonce qu'Astromonte instaure un concours, et que l'oiscau sera donné en prix à la plus vertueuse des vierges.
Lubanara est une femme légère. Elle aimerait séduire Astromonte en se faisant passer pour vierge et être enlevée par lui. Lubano, qui entend ses propos et qui est fort jaloux des hommes tournant autour de sa femme, décide immédiatement d'enfermer celle-ci dans leur cabane. Dépitée, Lubanara fait appel au méchant esprit Eutifronte, lequel apparait aussitôt, et l'entraine dans les enfers. Lubano, qui a assisté à la scène, voit immédiatement des cornes pousser sur son front. Et déjà il est poursuivi par les chasseurs et la meute d'Eutifronte, qui le prennent pour un cerf...
Nadir cependant craint que sa fiancée ne soit choisie par l'oiseau et enlevée par Astromonte. Elle le rassure en lui assurant qu'elle lui demeurerait fidèle, mais elle fâche son père en lui apprenant qu'elle ne respecterait pas dans ce cas les désirs du dieu. De fait, le concours a lieu; l'oiseau choisit Nadine; et Astromonte paraît sur son nuage pour l'enlever à ses sujets.
Nadir se décide à partir la retrouver, en compagnie de Lubano. Ils sont tous les deux victimes d'une immense tempête en mer, déchaînce sans raison par Eutifronte, mais parviennent à en réchapper Nadir maudit Astromonte, et Eutitronte lui propose immédiatement de l'aider dans sa vengeance et de tuer son frère ennemi. Astromonte et Eutifronte sont tous deux fils d'un même magicien tout puissant. Le premier devait hériter de la pierre philosophale, mais comme le second le maudit pour cette raison, leur père décida de ravir cet héritage à chacun d'eux. Les deux frères étaient également épris d'une même princesse, qui épousa Astromonte: Eutifronte fit en sorte qu'elle meure en accouchant de son premier enfant, et le père ne put qu'offrir à son fils Astromonte l'oiseau en guise de consolation.
Pour réaliser l'acte de vengeance, Nadir est conduit par des nains dans un lieu où il reçoit un glaive, forgé par des esprits, et une flèche magique, qui lui doivent tout pouvoir sur les gardiens d'Astromonte et sur l'oiscau de celui-ci. Lubano, qui n'a reçu pour toute nourriture qu'un livre de sagesse, offert par le génie, retrouve Lubanara; mais pour éviter que celle-ci ne dise toutefois la vérité à Nadir, Eutifronte a fait en sorte qu'elle ne puisse plus parler, mais seulement miauler. Exclue de la cérémonie de la forge du glaive, elle disparaît à nouveau, poursuivie par la horde des nains, et sauvée seulement in extremis par le génie.
Parvenu au palais d'Astromonte, Nadir supplie le dieu, avant d'envoyer sa flèche sur l'oiseau, mais il atteint mortellement sa bien-aimée, dont le corps est transporté par des hommes armés et des pleureuses. Lubano, qui s'est plaint de son sort et a accusé Eutifronte, a été englouti dans les enfers. Puis, il est enfermé dans une cage pour tromper Nadir, qui risque de le tuer en le prenant pour l'oiseau d'Astromonte. Heureusement celui-ci paraît, déguisé en vieillard, avec le véritable oiseau à ses côtés, et il enjoint Nadir d'abandonner son glaive. Il lui révèle en même temps sa véritable identité: il est son propre fils, sauvé de la mort par ses gardiens lorsque Eutifronte avait décidé de le tuer en jetant son berceau à la mer. L'aigle survient au moment de cette déclaration, pour remettre à Nadir la Pierre philosophale, tandis que Nadine se réveille à la vie. Astromonte reçoit le glaive des mains du jeune héros, et triomphe ainsi de son frère Eutifronte, lequel regagne les enfers sans accepter la réconciliation. Lubano est délivré, et Lubanara retrouve sa voix. On fête les noces de Nadir et de Nadine dans la plus grande liesse' et chacun rend hommage à Astromonte.
 

Registrazione discografica

Recensione

 

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