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1920-1945 : La musique 'Dégénérée'.

(Allemagne, Autriche et Europe centrale)

Il existe dans le 20e siècle un exemple frappant de la terrible barbarie déployant toute sa brutalité pour bâillonner puis éliminer les artistes qui ne lui conviennent pas. En l'occurrence, la musique et les musiciens de l'Allemagne, Autriche et Europe centrale ont eu à supporter la montée du nazisme en Allemagne, la prise de pouvoir de Hitler en 1933, l'Anschluss sur l'Autriche en 1938, et la 2e guerre mondiale de 1939 à 1945. Ces compositeurs, continuateurs de l'évolution de la musique romantique et post-romantique, ont été attaqués selon des critères extra-artistiques. Dans une période normalisatrice, ils ont pâtit de leurs religions différentes, de leurs conceptions décalées. Pour cela, ils auront été jugés, bannis, brisés et même enfermés et exécutés. Ils ont été qualifiés de musiciens 'dégén&e

 

1.Franz SCHREKER Les oeuvres

S'il est une figure qui peut incarner la douleur de l'artiste confronté à l'arbitraire, c'est l'autrichien Franz Schreker (1878-1934). Les dictionnaires de la musique actuels ne consacrent à cet artiste respecté et apprécié des années 1910-1920 qu'une ou deux lignes distanciées, écrites par des critiques qui manifestement ne l'ont jamais écouté. Que la barbarie bien organisée est efficace ! Elle a réussi son lavage de cerveau certainement au delà de ses espoirs les plus fous ! Au moment de ses premiers succès (Der ferne Klang 1912, Die Gezeichnete 1918), ses sonorités luxuriantes et vénéneuses, ainsi que ses livrets au symbolisme foisonnant, ont conquis un public autrichien en quête de modernité. Le succès était accompagné d'un parfum de soufre, qui appartenait à la recette du succès à cet époque déjà.

Son premier opéra à succès Der ferne Klang (Le son lointain), conte l'histoire d'un artiste, Fritz, à la recherche du son musical idéal, et qui ignore l'amour d'une jeune fille, Grete. Fritz s'en va, Grete promise à une autre contre son gré essaie de retrouver sa trace. Tout deux ne rencontrent séparément que la misère et le malheur. Lui ne connaît que l'échec et l'insatisfaction, elle tombe dans la prostitution. Ils finissent néanmoins par se retrouver dans une maison close. L'opéra et la quête vaine se termine avec la mort de Fritz, dans les bras de la fille qui l'aime, et c'est avec elle que le son tant convoité se fait entendre. L'artiste avait négligé l'amour d'une proche, alors que celui-ci pouvait constituer sa source d'inspiration et d'accomplissement.

Avec Die Gezeichnete, Screker présente trois personnages principaux que la vie n'a pas gâté: Une richissime difforme qui de ce fait ne peut conquérir la beauté et les cœurs que par l'argent, une artiste peintre frigide fragile et coupée de la réalité, et un noble vil, cupide et pervers. Des relations complexes et déviantes les attirent les uns vers les autres de manière destructrice. Là encore, la musique est somptueuse, l'écriture orchestrale est virtuose et distille des sonorités séduisantes et vénéneuses, qui soutiennent de manière perverse, il faut bien l'avouer, une histoire noire et désespérée.

Le compositeur donne l'impression de se complaire dans la noirceur. Il s'attache à décrit des personnages désespérés, psychologiquement fragiles, déséquilibré, dans des situations apparemment sans autre issue que la mort. Il y a une similitude avec les personnages des opéras de Wagner en quête de sens à l'existence, mais ceux-ci parvenaient à l'accomplissement spirituel à travers une Rédemption chrétienne. Chez Schreker, la religion n'est même pas envisagée comme remède, et la quête de ses personnage reste vaine et encombrée de malheurs. Le pessimisme outrancier et malsain des livrets contraste avec la subjuguante beauté de l'orchestration. La musique qui accompagne les récits se développe de manière si chatoyante, si obsédante, si érotique et si ensorcelante, qu'on pourrait considérer à l'approche des œuvres de Sc

Mais on ne peut ne pas adhérer aux livrets de Schreker, et les considérer comme un galimatias incohérent, sans queue ni tête, de personnages qui n'ont que ceux qui méritent. C'est le même reproche qui a été adressé à Puccini et aux véristes, aux expressionnistes, et à ceux qui ont choisi de mettre en musique des histoires véritables, parfois plus vraies que vraies, avec ses héros qui souffrent puis perdent. Schreker est de tous ces mouvements qui ont mis la réalité en avant, avec sa noirceur et son cortège de désespérés. Les personnages de Schreker sont habités par le malheur. Le destin s'acharne à les écarter de la joie simple, et les amène au dérèglement, à la catastrophe. La fatalité en fait presque de victimes. On peut reprocher cette complaisance pour la morbidité, ce goût pour les atmosphères

 Le succès, et le rôle qu'il a joué dans la promotion de la musique de son époque, a permis à Schreker d'accéder au poste de Directeur de la MusikHochschule (= Conservatoire) de Berlin (Allemagne) en 1920. A partir de ce moment, sa propre carrière artistique va décliner : Le vent aura tourné, les goûts du public de l'après Grande Guerre auront changé, et ses nouveaux opéras rencontreront moins de succès, peut-être parce que leur ambiance morbide reste trop marquée par une époque révolue. Schreker quitte lentement les feux de l'actualité. Mais il consacrera beaucoup d'énergie comme pédagogue à former les nouvelles générations de musiciens. Parmi ses élèves, il comptera les jeunes Krenek et ... , une génération qui sera décimée par la politique et l'histoire.

Au sommet de sa gloire, Franz Schreker analysait lucidement les raisons de son succès, et les exprimait en amalgamant tout ce que la critique a pu écrire et dire sur son compte:

"- Je suis impressionniste, expressionniste, internationaliste, futuriste, vériste musical; juif et parvenu grâce au pouvoir juif, chrétien et 'fabriqué' par une clique catholique sous le patronage d'une princesse viennoise archi-catholique. Je suis un artiste de la musique, un visionnaire de la musique, un magicien de la musique, un esthète de la musique et je n'ai pas la moindre trace de sens mélodique [...] Je suis un mélodiste de la plus pure espèce mais un harmoniste anémique, pervers, bien qu'un musicien pur-sang ! Je suis (malheureusement) un érotomane et un effet des plus malfaisants sur le public allemand ..."

Cette profession de foi, en plus de ses origines juives, tiendront lieu de réquisitoire pour les nazis, qui retourneront ces arguments contre leur auteur. Arrivés au pouvoir en 1933, ils le feront démissionner de son poste de Direction de la MusikHochschule de Berlin, puis de toutes ses responsabilité dans le monde de la musique allemande. Ses œuvres sont interdites de représentation. Sa santé se dégrade et il meurt d'une attaque cardiaque à 56 ans le 21 Mars 1934. A l'éclipse artistique, se sont ajoutés la condamnation à l'effacement social, puis l'oubli. Ce n'est qu'à partir des années 1980 que les premiers disques des opéras de Schreker apparaissent et touchent le grand public, réparant ainsi une injustice criante. Ce sont les œuvres d'une époque disparue qu'on redécouvre. On se rappelle que ses opéras ont été d'énormes succès dans les ann&eacutSalomé et Elektra, les opéras 'noirs' de Strauss, et en aurait fait son fond de commerce.

 

2. Alexander ZEMLINSKY Les oeuvres

Alexander Zemlinsky (1871-1942) fait partie de ces compositeurs autrichiens redécouverts depuis les années 1980. Depuis que la modernité avant-gardiste et militante en musique met de l'eau dans son vin et n'accapare plus le devant de la scène médiatique, la lumière peut atteindre des œuvres et des compositeurs qui ont longtemps végété dans le purgatoire de l'Histoire. La réévaluation des œuvres de Zemlinsky a commencé. Arnold Schoenberg s'est fait son avocat très tôt, mais il a prêché dans le vide, ne recevant qu'un acquiescement poli et vite oublié de la part du public. Il n'a pas pu empêché les œuvres de Zemlinsky, qui fut son formateur en musique et son beau-frère, de s'enfoncer dans l'oubli pour ne réapparaître que dans les années 70 et 80.

Le détonateur fut la redécouverte du duo d'opéra basé sur les textes de Oscar Wilde : Eine florentische Tragödie (1917 - Une tragédie florentine) et Der Geburstag der Infantin (1922 - L'anniversaire de l'infante), connu aussi sous le titre Der Zwerg (Le Nain). Les textes de Oscar Wilde ont acquis très tôt une réputation de modernité pour leur acuité psychologique, et une manière très personnelle d'exprimer le conscient et l'inconscient des personnages. L'existence de leur mise en musique se révèle un enchantement. Avec le recul du temps, les opéras de Zemlinsky sont devenus à la fois accessibles aux oreilles éduquées et représentatifs de leur époque. Zemlinsky n'a pas la modernité d'un Schoenberg ou d'un Berg, on peut rapprocher son style de celui de R.Strauss de la période modérée, et le décrire en continuateur de l'écriture orchestrale wagnérienne. Le goût raffiné pour des orchestrations denses et aux voix individualisées, aux couleurs variées reflète bien son époque, sans être révolutionnaire. Zemlinsky n'a pas acquis une forte notoriét&eacu

Quoiqu'il en soit, les opéras basés sur les texte de O.Wilde font lentement et sûrement la conquête du public. Ils sont courts, ce sont des opéras en un acte, et dense, avec peu de personnages en huis clos. Chaque réplique compte, et plus encore : Ce qui n'est pas dit est aussi important. Le drame se noue avec force pour un final tragique. La tragédie florentine (1917) compte l'histoire d'un homme mûr qui rentrant chez lui, trouve sa femme avec un homme jeune et séduisant, l'amant. L'homme d'abord surpris feint la naïveté devant son épouse et l'amant afin d'endormir leur méfiance. Finalement il explose de fureur et tue son rival. Sa femme, redécouvrant la beauté animale de son mari, revient dans ses bras et ils se réconcilient. La concision du texte épargne un étalage de mauvais goût. Le personnage de l'homme bafoué qui lutte pour surmonter sa surprise, puis prendre la mesure de son rival méprisant, et le dénouement en crime passionnel, subjugue. La sobriété et la retenue (surtout comparée à Schreker) du traitement en font un opéra fascinant par sa crudité clinique, et la force de la peinture psychologique. Le compositeur se veut au service du texte.

L'opéra L'anniversaire de l'infante montre un personnage torturé de nain, traité comme un jouet par une petite fille gâtées (l'infante), alors que c'est de l'affection qu'il réclame. Il s'agit du drame d'un jeune homme difforme et hypersensible, qui se trouve incompris et repoussé lorsqu'il réclame d'être aimé. On peut voir dans cette pièce l'évocation des propres malheurs du compositeur, que Alma Mahler a décrit comme 'un affreux gnome, petit, sans menton, sans dent'. Encore une fois la musique suit, souligne, toujours avec retenue, l'évolution psychologique des personnages. Elle décrit les tempêtes dans les crânes. La densité et la superposition des couleurs orchestrales s'apparente à l'entrelacs des tourments que subissent les personnages. Et l'écriture musicale est posée et magnifique. Elle apporte au texte la tension, le rythme et la respiration et concourt ainsi à l'efficacité dramatique d'

On peut voir une similarité de sujets entre L'anniversaire de l'infante et Die Gezeichnete. Il semble que Schreker ait initialement destiné le livret de ce dernier à Zemlinsky, suite à une commande. Pour une raison indéterminée, c'est finalement Schreker qui a mis en musique son propre livret pour le résultat décrit plus haut. Les sujets de prédilection des compositeurs de cette époque étaient souvent proches. A l'instar des opéras de R.Strauss, les textes à hautes teneur en tourments psychologiques tenaient le premier plan (Wilde, Maeterlinck, Hoffmansthal). On peut deviner que le livret proposé par Schreker montrait trop d'excès, trop d'impudeur par rapport à ce que Zemlinsky pouvait supporter et mettre en musique. On mesure ainsi leur différence de personnalité, à partir de procédés d'écriture qu'on peut qualifier comme proches techniquement mais au service de livrets diamétralement opposés en sensibilité.

 

La musique de Zemlinsky a été interdite par les nazis. Il était également un chef d'orchestre célébré pour les services rendu à la musique de son époque et à Mozart. Ecœuré, il part en exil aux Etats-Unis où il est meurt, anonymement, en 1942. Pédagogue confirmée, il a aiguillé les premiers pas de Schoenberg, Korngold et d'autres compositeurs ou musiciens.

 

3 Erich Wolgang KORNGOLD Les oeuvres

Né et reconnu comme un petit Mozart, baignant dans le monde musical de son époque grâce à son père Julius Korngold éminent critique musical de Vienne, l'autrichien EW Korngold (1897-1957) connait un début de carrière foudroyant. Elève de Zemlinsky, ses dons pour la scène sont évidents et forcent l'admiration de R.Strauss et Reger. Il fait représenter ses opéras d'adolescence Der Ring des Polykrates et Violanta avec succès. Die tote Stadt connaît en 1920 un triomphe dans le monde germanique. Mais le vent tourne. L'opéra suivant Das Wunder der Heliane semble décalquer celui de ses aînés R.Strauss ou F.Schreker, par son style post-romantique et son symbolisme noir. L'essai n'est pas transformé et le public se rebiffe. La menace des Nazis en Allemagne le pousse à fuir son pays en 1934 pour se réfugier aux Etats-Unis. Il devient compositeur de musique de film et acquiert une forte notoriété pour son travail avec les grands studios hollywoodiens. A son retour en Europe après la guerre, il s'aperçoit qu'il a été oublié. Le monde musical avait énormément changé durant son absence, et ceux qui l'ont rebâti ne lui laisse pas de place pour se réinstaller. Il compose ses dernières œuvres dans l'indifférence, dinosaure anachronique issu d'un romantisme auquel artistes et musiciens avaient mis un point final depuis longtemps.

EW.Korngold n'est pas spécialement à plaindre en tant que personne. Il a peu souffert matériellement ou physiquement des bouleversements politiques de son époque. Par contre l'artiste a été contrarié: Son style était déjà daté lors de ses premiers succès, Hindemith, Weill ou Berg ont accaparé le devant de la scène et constituaient l'avant-garde parmi ses contemporains. Il lui a peut-être manqué du temps pour affirmer sa personnalité et trouvé sa vraie identité artistique. A partir de 1934, il a su aisément s'adapter à son exil américain, lui qui possédait un bagage musical de premier ordre. Il travaille pour les studios de cinéma de Hollywood pour lesquels ils composent de la musique. Honnête artisan, ses partitions montrent des qualités qui les destinent à devenir des classiques de la Musique de film, genre que EW.Korngold a

 

4. La fin du romantisme

L'avant-garde des années vingt a tiré un trait sur le romantisme et ses avatars. La musique chargée de pathos, sensée extérioriser des sentiments des personnages, cesse d'avoir cours. R.Strauss et ses épigones ont épuisé le style, et les nouvelles œuvres de la mouvance romantique semblent se répéter. R.Strauss sentait lui même qu'il arrivait à une impasse et sa Femme sans ombre (Die Frau ohne Schatten) de 1919 constituait le point final de sa période wagnérienne. Il avait lui-même précédemment perçu les limites vers lesquelles il se heurterait s'il persistait dans cette voie, et avait opéré sous l'impulsion de son librettiste un retour à Mozart (Le Chevalier à la Rose - Der Rosenkavalier). Sa nouvelle voie de développement était de travailler sur les livrets de qualité de Hugo von Hoffmanstahl et de chercher comment la voix pouvait évoluer sur une musique détachée du texte. Les expérimentations comme Intermezzo puis en fin de carrière Capriccio sont certainement les résultats les plus osés et les plus étonnants.

Les gens de la nouvelle génération sont souvent catalogués néo-classique. En refusant le romantisme, il retournait au source de l'avant romantisme: Le classique Mozart, cité précédemment avec R.Strauss, ou Bach. La musique retrouve sa liberté de ton par rapport au texte, elle se développe selon la fantaisie du compositeur, légère, ironique, parodique, corrosive, ornementale, utilitaires. Elle se retrouve affublée de mille atours, et refuse désormais de se laisser enfermer dans un style ou une recette. Bref, elle se déconnecte du texte. C'est toute la palette expressive de la musique que veulent maintenant utiliser les musiciens, c'est toute l'histoire de la musique qui peut servir à raconter une histoire.

Le début du 20e siècle enregistre une accélération des nouvelles techniques. Le cinéma, l'enregistrement sonore, la radio, la télévision apparaissent et bouleversent le rapport du public et des artistes. L'Europe accueille la grande nouveauté musicale de l'Amérique : Le jazz. Ce dernier amène une nouvelle manière de concevoir la musique. Le rythme, le touché, l'improvisation savante, l'utilisation des instruments, s'en trouvent modifiés. La greffe s'effectue par le biais de certains compositeurs réceptifs à ces nouvelles idées. Le plus représentatif étant Ernst Krenek avec Jonny spielt auf, mais pratiquement tous les compositeurs de sa génération tâteront les musiques extra-européennes.

 

5 Paul HINDEMITH Les oeuvres

Curieuse destinée que celle de l'allemand Paul Hindemith (1895-1963). A ses débuts il donnait l'impression d'être un petit génie de la musique - compositeur et interprète à la fois- qui ne concevait celle-ci que pour bousculer le bourgeois. Ceci a donné quelques opéras à l'orchestration virtuose, sur des livrets hésitant entre l'ironie et le grotesque, expressionniste et délibérément anti-romantique. Il enchaîne dans les années vingt opéra sur opéra sur des textes variés et provocateurs, dans lesquels la musique est alternativement sérieuse et farfelue, où l'émotion romantique 'à la Wagner' entre en collision avec la farce grinçante. On y trouve l'esprit du canular de potache, monté avec tellement de maîtrise et d'esprit, dans une odeur de soufre, qu'on reste stupéfait du résultat. Le triptyque d'opéras en un acte composé durant sa jeunesse en est le meilleur exemple.

Sancta Susanna évoque les fantasmes érotico-mystique d'une couventine. Das Nusch-Nuschi conte des histoires de coucheries coupables et de punition par castration (!). Enfin Mörder, Hoffnung der Frauen raconte crûment l'opposition/attraction de l'Homme et de la femme, sous forme de guerre des sexes.

 Le jeune Hindemith a ressenti que les traditions de l'opéra de son époque étouffe le genre, et il essaie de briser le carcan en adaptant des textes et des genres jusque là jamais envisagés. A sa façon, il essaie d'étendre le territoire de la musique de scène et aborde de nouvelles rives théâtrales, en mêlant maîtrise artistique et provocation. Bien plus tard, ayant affirmé ses convictions artistiques avec le monumental Mathis der Maler (1936), durant la période trouble de l'histoire de son pays, il donne l'impression d'engager un mouvement rétrograde, qui le fait ériger en adversaire de Schoenberg et de la modernité en général. Il réaffirme la prééminence de la tonalité, et opère un retour vers un style néobaroque ('à la Bach'). Pour adapter sa propre œuvre à sa nouvelle idéologie, il réadapte et réécrit quelques opéras de jeunesse (Cardillac), pour leur donner un tour plus édulcoré, et plus conforme aux principes artistiques qui régiront la fin de sa vie. D'autres opéras de jeunesse passeront à la trappe et il ne souhaitera plus en entendre parler. On peut y voir une sorte de refoulement sur une période qu'il juge honteuse et peut-être 'dégénérée'. Le jeune trublion farceur qui composait avec facilité, ironie, et s'est mué en théoricien laborieux, académique et raidi sur la défensive, dans un monde en plein bouleversement. Il s'est mis à attendre la fin d'un orage, sans réaliser que le monde changeait sans lui.

Quoiqu'il en soit, les nazis n'avaient certainement pas soupçonné son futur retour à la norme. Ils ne lui ont pas pardonné une scène de la salle de bain dans Neues vom Tage. Ils l'ont désigné comme un ennemi du peuple, accusé de dévoyer la culture allemande. Ses oeuvres seront interdites à partir de 1935. Hindemith émigrera en Turquie, en Suisse puis aux Etats-Unis en 1940. Il reviendra en Suisse à partir de 1953. Durant son exil il partagera son activité entre la composition, l'interprétation en concert ou sur scène et la pédagogie à l'Université.

 

6 Arnold SCHOENBERG

Continuateur du Wagnerisme, mais poussant jusque dans ses dernière extrémités les découvertes théorique du maître, pour aboutir à la dissolution de la tonalité et l'avènement du dodécaphonisme. Raillés par ses pairs qui lui reprochent son attitude 'jusqu'au-boutistes', choqué par la prise du pouvoir de Hitler en Allemagne, Schoenberg fuira le nazisme et s'expatriera aux Etats-Unis. Première figure de la musique à prôner la suspension de la tonalité et l'utilisation de toute l'échelle chromatique, il théorise la musique à douze sons, ou musique dodécaphonique. Pour réglementer cette nouvelle liberté dans le vaste territoire musical, il créé les principes de la musique sérielle. Quelques jeunes musiciens suivront ses préceptes et développeront leur art sous son influence. Le plus célèbre compositeur d'opéra

 

7 Alban BERG Les oeuvres

Parmi les figures du vingtième siècle, l'autrichien Alban Berg (1885-1935) occupe une place exceptionnelle. Quelle autre figure a pu installer de manière aussi éclatante la modernité (la musique atonale), dans un opéra accessible aux oreilles curieuses Wozzeck, créé en 1925. Dans une époque où la modernité restait à définir, Berg a su mener à son terme un projet démarré sous des auspices peu favorables à partir de 1914. Même Schoenberg exprimait des doutes. Pour cette raison, il fait figure de héros du siècle, qui aura redéfini l'opéra, en lui annexant de nouveaux territoire d'expression et de nouveaux moyens d'exploration. Le défi de Berg, commencé comme un défi à lui même s'est mué en formidable pari, dans lequel il s'est complètement et longuement investi. Le personnage de Wozzeck est un pauvre soldat un peu simplet. En proie à de graves problèmes mentaux, il sombre dans la jalousie, finit par assassiner sa compagne Marie et se noie. Il laisse derrière lui un orphelin. Le ton est à l'expressionnisme, pimenté de pathologie psychiatrique.

Si Wozzeck a ouvert une nouvelle voie de développement de la musique qui, avec le recul, a peut-être amené à une impasse, on ne peut pas en faire le reproche à Berg. Ses continuateurs auront repris les éléments les plus extérieurs, en particulier l'apparente sécheresse du discours musical, le choix de livrets morbides ou outranciers, et la sophistication de la construction. On ne peut pas fourrer Berg dans le même panier, ni réduire son accomplissement artistique à une recette déclinable à l'infini. Il y avait dans le Berg de Wozzeck une nécessité. Pour le livret qui lui convenait, il s'est forgé un langage. Il ressentait l'urgence de la rupture vis à vis du romantisme, et avait trouvé en Schoenberg un maître réceptif pour se recréer une nouvelle sensibilité artistique, après qu'il ait renoncé aux règles conventionnelles. Mais, sans être de mauvaise foi, le romantisme a survécu en lui par sa chaleur, sa sincérité. Il y a ajouté sa profonde rigueur artistique pour donner son chef-d'œuvre.

Alban Berg composait très lentement. Après Wozzeck, il s'attaque à Lulu à partir de 1928, et qu'il laisse inachevé à sa mort en 1935. Toujours d'inspiration atonale et dodécaphonique, Lulu décrit un personnage de femme exterminatrice, qui sème la mort dans son sillage, là où les autres voient une figure de beauté et d'amour. Comme dans son opéra précédent, la musique exprime l'angoisse, la dépression, la souffrance. Et il y a aussi de grands moments lyriques, inséparables du style de Berg.

Les nazis ne pourront s'attaquer au compositeur Berg, disparu trop tôt. Il s'attaqueront à son œuvre, en la faisant interdire. Ils en feront une figure de la dégénérescence en musique. Ils rallieront à eux les oreilles conservatrice, révulsées par une musique qui blesse les sens. Ils espèrent refermer au plus vite une parenthèse qu'ils aurait aimé ne jamais voir s'ouvrir, une plaie béante d'impureté dans leur meilleur des mondes. Après la guerre, Berg deviendra un héros. Il incarnera l'artiste moderne qui, ayant élaboré son langage musical, s'emploiera sa vie durant à le développer, sans compromission, sans complaisance, avec intelligence et sensibilité, fidèle à un projet, et consacrant le temps nécessaire à son accomplissement. Bref Berg devient l'archétype de l'artiste libéré, libre de créer, avec l'espoir d'&Wozzeck rapidement la conquête du public, et devient le point de passage vers la musique moderne. La version de Lulu achevé par Friedrich Cerha, est créé avec succès en 1979 à Paris. Alban Berg, dressé sur un piédestal par ses continuateurs, écrase de son ombre les créateurs 'modernes' qui s'interdisent tout retour à un langage antérieur au sien. Il est devenu le Point de départ. La question en suspens de notre époque est de savoir, si malgré ses accomplissements, il a ouvert une voie qui mène vers une impasse. Et si ce n'est pas une impasse, où sont les portes de sortie ?

 

8 Kurt WEILL Les oeuvres

L'allemand Kurt Weill est de ceux qui, à l'instar de Hindemith, incarnent le rejet du Wagnerisme et de sa descendance artistique, lourde, empesé à ses oreilles. Il devient l'ennemi de la sophistication, de la lourdeur toute germanique héritée du romantisme, et de la tendance bourgeoise de l'évolution de la musique. En réaction à ce qui tenait le devant de la scène à cette époque, il préfère des pièces musicales concises, mettant en scène des personnages simples et d'extraction modeste. Les œuvres sur des personnages historiques ou mythiques ne l'intéressent pas du tout, au contraire, il cherchera son inspiration dans le réalisme, le populaire (et non le populisme), et la spontanéité.

Sa rencontre avec Bertold Brecht donne corps à ses opinions encore en gestation. Ce dernier lui fournit des textes de qualité sur des sujets de veine populaire (L'opéra de quat'sous, Grandeur de décadence de Mahagonny ...). On sent par le biais de Brecht l'irruption du bolchevisme, comme on disait à l'époque, sur les scènes d'opéra. L'heure de choquer le bourgeois est venu. Weill revient au découpage en numéros, avec des mélodies d'inspiration populaire, il renonce à la langueur morbide des romantiques et post-romantiques pour retrouver la vigueur des meilleures propagandes à la mise en scène. Les spectacles sont motorisés par la critique politique et sociale, et la satire. Bertold Brecht, qui a participé à de nombreuses œuvres parmi les plus importante de K.Weill, est son plus célèbre collaborateur, mais il n'est pas le seul. Celui-ci aura également eu la chance de travailler avec d'autres grands noms de théâtre de son époque.

Kurt Weill est un compositeur qui tel un chat connaît plusieurs vie. Alors que la montée du nazisme le pousse à l'exil, il trouvera en France puis aux Etat-Unis pour lui et sa femme la chanteuse Lotte Lenya, une terre accueillante pour poursuivre sa carrière et se faire un nom à Broadway. La mutation est aisée. A un moment où le théâtre musical américain reste un genre tourné vers le divertissement grand public, quelques artistes ont la volonté de lui donner une ambition plus grande, d'élargir le champ de traitement, et fonder une tradition d'opéra américain. Kurt Weill se sent artistiquement à l'aise dans de contexte. Il embrassera cette foi dans l'anoblissement du Musical, cette volonté de lui donner une conscience artistique, politique et philosophique. D'autres poursuivront sur cette voie, comme le compositeur et chef d'orchestre Leonard Bernstein, puis plus tard Stephen Sondheim. Kurt Weilsongs. On attend encore la réhabilitation de ses opéras de sa période berlinoise. Une fois sa carrière reconnue, une place privilégiée attend Kurt Weil comme trait d'union entre l'opéra allemand du début du siècle et le théâtre musical américain.

 

9 L'EUROPE CENTRALE (GOLDSCHMIDT, KRENEK, ULLMAN, KRASA, SCHULHOF ...)

Dès le début de la guerre en 1938-39, au moment de l'invasion des pays d'Europe central, les nazis ont envoyés dans des camps les musiciens 'dégénérés', en général de confession israélite. Dans un premier temps, les artistes étaient privés de liberté de circuler, mais dans un but de propagande, la liberté de créer demeurait. Le camp de Theresienstadt représentait une vitrine, qu'on pouvait montrer aux organisations internationales comme la Croix rouge. Les musiciens étaient bien traités et un travail de qualité voyait le jour, malgré l'hypocrisie de la situation. Les compositeurs créaient, et des musiciens interprétaient les créations, dans une sorte de circuit fermé.

Puis vint pour les nazis le temps des revers. La solution finale ne souffre pas d'exception, et les compositeurs emprisonnés sont exécutés dans les chambres à gaz. Ce sont les tristes destins de Ullman, Krasa.... Quelques unes des œuvres créées ont survécu à l'horreur. Elles commencent à être et jouées et représentées. Pour l'instant elles conservent leur étiquette morbide 'Theresienstadt', et on a du mal à effacer les affres qui ont présidé à leur élaboration.

D'autres compositeurs, comme Goldschmidt ou Krenek ont pu échapper aux mailles du filet et ont choisi l'exil pour survivre. Ils verront leur carrière brisée et comme les grands de leur génération, auront comme eux du mal à renouer avec leur créativité européenne. Les terres d'accueil comme l'Amérique du Nord ou du Sud ne sont pas aussi réceptives aux musiques 'modernes'. Tout au plus suscite-t-il la curiosité de la part d'esprit curieux, mais ceci reste l'exception. Pour vivre, il faut se contenter de menus travaux. Après la guerre, il leur faut affronter l'indifférence en Europe. La nouvelle génération n'a que faire de ces dinosaures d'un autre âge. Elle accapare le devant de la scène, et les anciens peut-être trop liés à un passé refoulé, doivent s'accommoder de l'anonymat. Ils continuent leur activité créatrice, mais leur activité 'ne compte' pas. Elle est peu évoqu&eacut

 

10 LA (RE)DECOUVERTE DES OPERAS DEGENERES.

Cet article n'aurait pas vu le jour si l'éditeur de disque Decca n'avait pas créé sa collection 'Die entartete Musik' - La musique dégénérée-. A vrai dire, il existait depuis les années 80 un frémissement dans l'édition discographique. Des enregistrements d'opéras de Korngold (Die tote Stade), Zemlinsky (Eine florentine Tragödie, Die Geburstag der Infantin), ou Schreker surgissaient de ci de là, chez quelques éditeurs (Koch, Cappricio, Wergo ...) qui avaient eu le bon goût de sentir que des représentations de 'curiosité musicales' recelaient un intérêt supérieur: La réhabilitation d'œuvres d'artistes autrefois célébrés et injustement oubliés. Il appartient à Decca d'offrir une démarche structurée, avec un exploration approfondie du répertoire, et de proposer des textes d'accompagnement pour présenter les artistes, les œuvres et leur place dans l'époque. Et luxe suprême, les livrets sont traduits en plusieurs langues, le français notamment. Il faut donc saluer l'ambition de leur projet, et l'ampleur des moyens déployés pour faire découvrir une période 'effacée' de l'histoire de la musique. Ces artistes ont travaillé dur pour leur art, ils se sont même retrouv&eac

A part la dénomination Musique dégénérée, il n'y a pas d'autre qualificatif qui puisse englober ce qu'auront été les productions de ces artistes. Il n'y a pas de style unique, de méthode. Il y a une multitude de compositeurs de hautes valeurs qui se seront intéresser à des textes variés, gais ou tristes, légers ou sérieux, émanants d'auteurs divers et valeureux le plus souvent. Ils auraient dû occuper les places laissées vides entre Strauss, Puccini, et les compositeurs d'après 45. Dans les livres d'histoire, il n'en a rien été. L'Histoire après coup a encore du mal à leur restituer une place. Pourtant ces artistes se sont beaucoup dépensés pour mettre des textes en musique. Ils sont les meilleurs éléments des écoles de musique de leur pays et de leur époque, et ont incarné l'avenir. Ils ont été Postroma

 


Bibliographie:

 

Discographie: