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En direct de... Prague

par Laureto Rodoni

ZEMLINSKY: «Es war einmal»

 

Depuis quelques annces, les musicologues redécouvrent Alexander Zemlinsky qui fut non seulement I'animateur de la vie culturelle mitteleuropéenne au tournant du XIXe siècle, mais aussi l'une des personnalités de premier plan de la deuxième École de Vienne, surtout pour l'amitié qui le liait à Schoenberg.
Le 18 mars dernier, à quelques jours du centenaire de sa création, l'Opéra National de Prague a repris «Es war einmal», deuxième opéra du compositeur, dont le livret de Maximilian Singer trouve son inspiration dans la comédie homonyme de l'écrivain danois, Holger Drachmann. Pour diriger cette partition, on a fait intelligemment appel à la compétence d'Antony Beaumont qui, depuis une dizaine d'années, est le spécialiste passionné de l'œuvre de Zemlinsky.
C'est le 22 janvier 1900, à la Hofper de Vienne, que Gustav Mahler dirigeait la première exécution de «Es war einmal». Pendant les répétitions, il avait suggéré bon nombre de modifications, consenties, dans la plupart des cas, par Zemlinsky. Ainsi, la version définitive, que le compositeur lui-même dirigera en 1912 à Prague, peut-elle être considérce comme le fruit fascinant de la collaboration entre les deux musiciens. Pour les Praguois, il s'agissait aussi d'une occasion de rendre hommage à l'intense activité culturelle que Zemlinsky déploya entre 1911 et 1927, alors qu'il exerçait la fonction de Kapellmeister au Deutsches Landestheater de la ville.
«Es war einmal» (Il était une fois), comme son titre d'ailleurs le suggère, s'inscrit dans la tradition des Märchenoper, très répandue à cette époque. Victime de sa légèreté, une glaciale princesse - comment ne pas songer à la Turandot de Gozzi, qui inspirera aussi Puccini - tombe dans le piège tendu par un prince-prétendant qui, après avoir été rejeté, s'était représenté à elle déguisé en bohémien. Père inflexible, le roi la répudie donc, la contraint de quitter le château et d'épouser le «bohémien» inconnu. La belle princesse finira par en tomber amoureuse avant que la révélation de la véritable identité marque le dénouement de l'œuvre. Aux yeux de certains commentateurs, l'intrigue d'«Es war einmal» serait en quelque sorte une anticipation autobiographique de l'amour non partagé de Zemlinsky pour Alma Mahler.
Tout Märchenoper est caractérisé par des procédés stylistiques récurrents en ce qui touche aux idées musicales, à l'harmonie, ou encore au timbre orchestral. Par exemple, les bois acquièrent une importance de premier plan, se fondant littéralement avec les personnages ou avec les bruits de la nature. Le trémolo des cordes scande l'attente trépidante d'un enchantement, tandis que le flux de la harpe en préfigure le dénouement. Zemlinsky n'échappe pas à ces stéréotypes mais il les «embellit» par l'utilisation d'un langage musical plus raffiné que celui qui est généralement utilisé par les compositeurs des Märchenoper contemporains. Ce langage, le sien, recourt aux formules orientales, à des archaîsmes et à une atmosphère tonale très dense.
Une œuvre si complexe et si peu étudiée implique une approche qui ne saurait se passer d'une connaissance approfondie du contexte historique, biographique et, surtout, musical dans lequel elle a mûri: non seulement les références à la musique contemporaine, déjà empreinte d'une forte «inquiétude» harmonique, mais également la permanence de la grande tradition allemande (Wagner) du XIXe siècle nourrissent le tissu musical.
Grâce à sa direction rigoureuse et savante, Beaumont restitue la complexité de l'écriture orchestrale du jeune Zemlinsky, complexité qui s'articule autour de nouveautés expressives, de finesses dignes d'une partition de musique de chambre, et d'une densité sonore rare. La netteté des différents pupitres produit un son léger et transparent, de descendance mozartienne. De la lecture scrupuleuse de toute indication dynamique au phrasé varié, en passant par le juste poids accordé aux instruments, individuellement ou dans les ensembles, tout concourt à rendre justice à la théâtralité de l'œuvre. À aucun instant, le chef n'oublie que «Es war einmal» est avant tout un conte dont il faut préserver l'aspect narratif, tant sur le plan de l'intrigue que du discours musical. Autant d'exigences constituent un véritable défi pour l'orchestre, auquel on pardonne volontiers quelques menus dérapages.
Malheureusement, du point de vue scénique, le spectacle, pourtant digne, n'est pas du même niveau: la direction d'acteurs de Jiri Nekvasil s'avère sans acuité. Reconnaissons-lui cependant le mérite, non négligeable, de ne pas entraver le déroulement du discours musical. Les décors stylisés de Daniel Dvorak se contentent de contrastes chromatiques banals que la platitude des costumes de Simona Rybakova ne rehausse certainement pas.
Quant à la distribution, elle s'acquitte honorablement d'une tâche difficile. Le Prince de Klaus Florian Vogel affiche un beau timbre, agrémenté par un phrasé varié, tandis que le soprano Maria Tkadlcikova, très fêté par le public, parait dépassé par les enjeux dramatiques de son personnage.
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