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• LE MONDE | 04.10.01 | 12h45
Cecilia Bartoli et Nikolaus Harnoncourt réunis pour l'"Armida" de Haydn
Article daté du 16.06.2000
VIENNE de notre envoyé spécial
Rencontre au sommet, à Vienne, dans l'une des acoustiques
les plus fabuleuses de la planète : Cecilia Bartoli enregistre pour Teldec
le rôle-titre de l' Armida de Joseph Haydn, sous la direction de son chef
bien-aimé, Nikolaus Harnoncourt. C'est en public, dans la grande salle de
la Musikverein, le havre de l'Orchestre philharmonique de Vienne, un simple
plan de type "boîte à chaussures" mais où le son ne reste jamais au ras du
sol : la moindre note de clavecin y résonne avec clarté et chaleur, les voix
y sont portées comme naturellement et si les instruments du Concentus Musicus
de Vienne ne sonnent pas avec plus de rondeur et de fondu qu'à l'habitude,
c'est non en raison d'une carence acoustique mais bien parce que Harnoncourt
ne souscrit pas, là plus qu'ailleurs, au beau son.
Le regard habité jusqu'à l'inquiétant, la gestique
monumentale et assez sèche, le chef autrichien ("baroqueux" autrefois honni
en son propre pays, aujourd'hui - honneur suprême - invité à diriger le prochain
concert du Nouvel An) considère l'acte musical comme une prise de risque
permanente. L'expression, l'énergie rythmique, la caractérisation dramatique
l'intéressent nettement plus que le fini d'une sonorité et le détail de la
mise en place. (On notait en effet quelques décalages récurrents entre les
vents et les cordes mais les deux concerts, intégralement enregistrés par
Teldec, ainsi que les séances de corrections additionnelles devraient arranger
les choses.) L'entente d'Harnoncourt avec la mezzo-soprano
italienne (qu'il connaît bien pour avoir souvent avec elle donné des concerts,
et enregistré il y a dix ans un Lucio Sylla de Mozart) ne pouvait être qu'idéale
: elle aussi, et cela va en s'accentuant au fil des années de sa jeune carrière,
considère sa voix non comme un objet sonore dont la musique serait le faire-valoir,
mais comme un outil infiniment coloré, flexible, au service d'une expression
véritablement kaléidoscopique. Le rôle d'Armide la fait entendre dans une tessiture
tendue : il ne s'agit plus seulement de vocalises la maintenant passagèrement
dans le haut de la voix mais d'une musique qui réclame les sons tenus d'un
vrai soprano. Cecilia Bartoli flirte avec un rôle qui n'est, a priori, pas
pour elle, mais elle parvient à le chanter pleinement, en "ouvrant" et en
projetant son aigu, sans tricher, en y mettant son habituelle énergie dévastatrice
et communicative dont on ne peut que souhaiter qu'elle la contrôle totalement,
le risque de se brûler les ailes n'étant pas improbable. MUSICALITÉ RAYONNANTE
Le ténor allemand Christoph Prégardien n'a pas
l'aigu rayonnant et facile, mais la qualité exceptionnelle de son timbre,
sa profonde musicalité (affinée par une pratique constante, au concert et
au disque, du lied) et sa présence sensible en font un Renaud extraordinaire.
Et la musique qui lui est dévolue est de toute beauté : c'est lui le héros
musical de cet opéra. Deux autres ténors, Scott Weir et Markus Schaeffer,
l'entourent dans des rôles plus discrets et plus moyennement tenus. On émettra
des réserves sur Oliver Widmer dont le style débraillé, les intentions un
peu lourdes frisent la vulgarité. Excellente tenue en revanche de Patricia
Petibon dont on est heureux d'entendre le médium prendre du galbe et la voix,
plus généralement, s'installer dans une musicalité rayonnante. "Prêtée" à Teldec par Decca en "échange" de l'orchestre
Giardino Armonico qui a enregistré avec elle un ébouriffant récital Vivaldi,
Bartoli a pu réaliser ce vieux rêve de partenariat avec Harnoncourt. Sera-t-il
suivi d'autres réalisations ? Si la mezzo-soprano, qui peut aujourd'hui se
permettre une grande liberté, décide de ne pas renouveler un contrat d'exclusivité
discographique, elle pourra continuer de travailler avec Harnoncourt et qui
lui chaut. Le 4 juin à Vienne, le chef autrichien signait un contrat d'exclusivité
à vie avec Teldec, assorti de projets foisonnants, d'une nouvelle version
de La Passion selon saint Matthieu de Bach à l' Aïda de Verdi.
Renaud Machart
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