Depuis quand la musique est-elle contemporaine?
par Peter Szendy
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Les pages qui suivent (je leur ai volontairement conservé leur caractère de discours oral) sont extraites d'une conférence prononcée à l'Orchestre philharmonique de Strasbourg, le 21 octobre 1999, pour introduire un concert au programme duquel figurait, outre le Triple concerto opus 56 de Beethoven et la Quatrième symphonie de Brahms, une «création» de Jorge Muñiz Salas intitulée APXH (et que, par définition, je ne connaissais pas).
Quelques précisions sont nécessaires pour l'intelligibilité de ce texte, qui se veut à la fois une réflexion sur la notion même de «musique contemporaine» et un témoignage sur les conditions et contextes qui peuvent déterminer la genèse de telle «création» en particulier.
Ce concert bénéficiait - je ne le savais pas - du soutien de l'association musique nouvelle en liberté. Jorge Muñiz Salas, avec son opus 52 se terminant (selon la note de programme) dans un ut majeur «triomphant», était le lauréat du Concours européen du jeune compositeur organisé par le Cercle de l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Je ne résiste pas au plaisir de citer, en exergue à ce qui va suivre, ces lignes du § 3 du règlement dudit Concours (j'ai pu les obtenir après la conférence):

«Caractéristiques de l'oeuvre objet du concours. L'oeuvre devra être d'une durée de 10 minutes maximum. Elle sera exclusivement symphonique. Elle ne comportera aucune adjonction électro-acoustique. [...] En dehors des obligations énumérées ci-dessus, les compositeurs auront la plus absolue liberté esthétique. Les candidats devront impérativement prévoir la possibilité d'une exécution autonome d'un fragment de 2 minutes environ pris dans leur oeuvre, en tenant compte du fait que cet extrait pourrait devenir un hymne officiel.»

Sic.]

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Nous allons donc parler de musique nouvelle (et, incidemment, de «liberté esthétique»). Ce soir, en effet, vous entendrez une création, c'est-à-dire du nouveau, de l'inédit, mais venant s'inscrire quelque part entre Brahms et Beethoven...
Le mot de création, dans son usage français et musicien, est pour le moins chargé. Plus, en tout cas, que ses équivalents usuels dans d'autres langues européennes: l'Uraufführung allemande, par exemple, paraît plus «objective», elle qui dit simplement «l'exécution première»; comme le fait aussi líitalien avec la mention pima esecuzione, parfois complétée, il est vrai, par l'adjectif quelque peu emphatique: assoluta («première exécution, absolument»). La nouveauté musicale ne se dit pas de la même manière dans toutes les langues. L'anglais world premiere, de ce point de vue, est un étonnant composé d'emphase (l'insistance sur le caractère mondial de l'événement) et de jargon technique (la «première»).
Quoi qu'il en soit, je suis prêt à parier que tous, autant que nous sommes, nous nous serons prononcé, fût-ce intérieurement, l'adjectif fatidique marquant la position de l'oeuvre nouvelle par rapport au contexte historique (certains diraient: muséal) qui l'accueille; tous, j'en suis à peu près sûr, nous nous sommes dit: ce soir, il y aura de la musique contemporaine! Avec joie, indifférence ou désespoir, c'est selon.
De la musique contemporaine: voilà une expression étrange, quand on s'y attarde un peu. Au fond, c'est essentiellement mon étonnement récurrent devant ce mot que j'aimerais vous faire partager, ainsi que certaines conséquences possibles de ce mouvement de surprise qui est parfois le mien quand je l'entends prononcer.

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Voici d'abord quelques phrases qui, pour parler du nouveau en musique, sont néanmoins déjà anciennes, presque «historiques», puisqu'elles datent de 1969:

«Le concept de nouvelle musique, qui sert à détacher une partie des oeuvres nées au XXe siècle de la masse de toutes les autres, semble être l'un de ces slogans qui ont un effet prégnant tant qu'on les utilise sans réfléchir; mais qui s'avèrent vagues, voire contradictoires, aussitôt qu'on commence à les analyser.
»La nouveauté, pourrait-on se demander, n'est-elle pas une qualité qui, selon son essence, reste liée à un moment non réitérable, au point qu'il semble absurde de l'attacher à toute une époque, qui s'étend sur un demi-siècle? Un concept qui désigne une expérience non répétable n'est pas le mieux approprié pour former une étiquette historique. De plus, pour être en mesure de différencier l'avant-garde des quinze dernières années par rapport à la musique nouvelle plus ancienne [je souligne], on est contraint d'employer le superlatif «musique la plus récente», expression des plus douteuses.»

En traduisant ces phrases qui ouvrent un article de Carl Dahlhaus (il s'agit de «Neue Musik» als historische Kategorie, «La «nouvelle musique» comme catégorie historique» [dans Schoenberg und andere, Schott, 1978]), jíai volontairement gardé le mot-à-mot, ou presque: «nouvelle musique» pour Neue Musik, «musique la plus récente» pour neueste Musik. Mais, pour que ces lignes déjà historiques (Dahlhaus est mort il y a à peu près une décennie) soient intelligibles pour nous, en France, quelques trente années après qu'elles furent écrites, il faudrait être moins fidèle à la lettre, il faudrait transposer ces expressions dans notre contexte français récent. Contemporain.
Neue Musik deviendrait vraisemblablement «musique contemporaine» - en effet une catégorie considérée comme «historique» (on pense à la musique des années cinquante-soixante, celle des Boulez, Stockhausen ou Xenakis; celle que, dans nos universités, on enseigne en cours d'histoire de la musique - dans le département auquel jíappartiens, on parle même de patrimoines du XXe siècle...). Neueste Musik deviendrait sans doute - ne rions pas, l'affaire est sérieuse - «nouvelle musique»; ou encore, avec quelques pluriels et chiasmes: «musiques nouvelles». La mode - c'est-à-dire la nouveauté -, c'est, depuis quelques années déjà, le s (ce s des «musiques actuelles» [bien faire la liaison en prononçant] que le nouveau directeur de l'ex-France Musique vient d'apposer au nom de la chaîne: France Musiques, ce qui suscite d'ailleurs des pétitions et réactions de la part des compositeurs dits «contemporains»).
Nouvelle musique, c'est le titre d'un livre récent - quoique déjà vieux - de Stéphane Lelong, paru chez Balland en 1996. Le sous-titre: À la découverte de 24 compositeurs, parmi lesquels John Adams, Steve Reich (dont les premières úuvres minimalistes et répétitives datent pourtant des années soixante), Philip Glass (auteur en 1976 du célèbre Einstein On the Beach avec Bob Wilson), mais aussi Nicolas Bacri, Thierry Escaich, Jean-François Zygel et quelques autres. Autant de musiciens qui sont censés avoir «dépassé» le style, disons constructiviste, des Boulez et consorts.
On pourrait penser aussi à une association parisienne fondée en 1991 par Marcel Landowski et Benoît Duteurtre - auteur d'un Requiem pour une avant-garde qui a suscité de nombreuses polémiques il y a quelques années -; la «mission» de cette association est précisément d'encourager le type de programme «mixte» que nous entendrons ce soir: elle propose une aide financière aux orchestres, à condition qu'il y ait, dans leur saison, «au moins un quart de programmes mêlant le répertoire [je souligne] et la musique composée après 1960» (je reviendrai sur cette date). Le nom de cette structure? Je vous le donne en mille: musique nouvelle en liberté!
Bien sûr, on le savait, la musique dite «contemporaine», cette musique déjà «historique», d'une avant-garde dont certains écrivent le Requiem, n'était pas «libre»! Elle était même, si l'on en croit une recension du livre de Duteurtre dans... National Hebdo, «totalitaire»; d'un totalitarisme «communiste», s'entend, puisque «dodécaphonique» et accordant une «égalité» de droit aux douze sons! Un auteur n'est pas nécessairement responsable des recensions qu'il suscite, mais certains ouvrages se prêtent mieux à certaines lectures que d'autres... Et il faut croire que si l'avant-garde est morte, les réactions qu'elle a pu susciter par le passé, elles, sont bel et bien vivantes et vivaces.
Bref, la «musique nouvelle» selon Duteurtre, musique «la plus récente», sera libre ou ne sera pas; en liberté, en toute liberté, elle refusera «la moindre directive esthétique» (l'idéologie, selon un certain discours libéral, c'est toujours celle des autres: au bon vieux temps «historique» de la «guerre froide», c'étaient les Russes qui «avaient» une idéologie - pas nous!). Donc, comme on peut le lire sur le site Internet de musique nouvelle en liberté, «toute úuvre composée après 1960 est prise en compte quelle que soit son orientation», qu'elle soit «tonale ou atonale, microtonale ou spectrale, minimaliste ou aléatoire, postromantique ou néoclassique, influencée par le jazz ou par les musique traditionnelles...» [http://mnl-paris.com]. Cíest beau, la liberté. On se demande juste pourquoi l'adjectif «sériel» brille par son absence dans cette liste si compréhensive. Sans doute un détail, un oubli.
Entendons-nous bien, parmi tous ces malentendus, accidentels ou intentionnels: je ne suis pas en train de préparer le terrain d'un combat d'arrière-garde pour l'avant-garde (qu'elle soit sérielle, minimaliste, aléatoire, que sais-je encore...). Je dis simplement que l'avant-garde militante avait (a?) au moins le mérite de ne pas cacher ses idéologies esthétiques derrière la vitre d'une pluralité apparemment transparente.

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Mais revenons aux questions de traduction. La nouveauté musicale, disais-je, ne s'énonce pas de la même manière dans toutes les langues. C'est-à-dire aussi selon les époques. Autrement dit, aussi paradoxal que cela puisse paraître, il y a une histoire de la nouveauté en musique (ainsi qu'une géographie, cela va sans dire). Ou encore: le nouveau n'a pas toujours été nouveau en ce sens nouveau (ou récent) qu'enregistre l'expression de musique contemporaine... Pour ne prendre qu'un exemple (le premier que donne Dahlhaus):

«l'ars nova [...] signifiait au XIVe siècle un ars nova notandi, une nouvelle méthode de notation [de la musique]. [...] Faire de la nouveauté l'essence de toute une époque, c'est en tout cas une pensée étrangère au XIVe siècle.»

L'ars nova - je traduis - ce n'est pas la «nouvelle musique» de l'époque.
La question - volontairement paradoxale - qui nous attend (et que je fais attendre en vous racontant des histoires récentes), c'est donc au fond celle-ci: depuis quand la musique est-elle contemporaine?
Il semble qu'en art, dans les arts dits plastiques, une «réponse consensuelle» se fasse jour, parmi les critiques, historiens ou conservateurs de musée; c'est du moins ce qu'affirme Catherine Millet: «La date de naissance de l'art contemporain flotterait quelque part entre 1960 et 1969.» [L'art contemporain, Flammarion, 1997, p.14] Bien que l'expression se soit imposée plus tard, de manière rétrospective, à partir des années quatre-vingt, «supplantant alors «avant-garde», «art vivant», «art actuel»» (p.6).
En musique, comme on l'a vu, il semble que ce soit moins simple. Car 1960, du moins selon Landowski et Duteurtre, c'est la date de naissance de la musique nouvelle, donc un peu la mort de la contemporaine. Mais si l'histoire (récente) du nouveau musical est peut-être plus retorse, elle a sans doute, au fond, la même conséquence: à savoir l'opposition entre l'actuel ou le contemporain d'une part, et l'historique ou le patrimonial d'autre part.

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On parle souvent, entre mélomanes, du «répertoire»; un musicien comme Harnoncourt parle, quant à lui, de la «musique historique» (notamment dans un texte intitulé L'interprétation de la musique historique [Traduction française dans Le Discours musical, Gallimard, 1982]).
«La musique historique»: comment entendre une telle locution? Toute musique n'est-elle pas historique au sens où elle fait partie de l'histoire, révolue ou en train de se faire? Et pourquoi, comment y aurait-il une musique «plus» historique, en un sens qui admettrait une telle locution sans redondance ni tautologie?
Cette expression est au fond aussi étonnante que celle de «musique contemporaine». Et l'on ne peut pas comprendre l'une sans l'autre, tant elles sont profondément solidaires. C'est comme deux moments d'un seul et même geste que se posent et s'opposent les catégories de la «musique historique» et de la «musique contemporaine».
«Musique contemporaine» ne devient sans doute une véritable catégorie - un genre clairement et institutionnellement délimité - qu'avec la fondation, en 1922, de la «Société internationale de musique contemporaine» (la SIMC). L'expression serait donc bien antérieure à celle d'«art contemporain». Alors que l'évidence voudrait que toute musique soit contemporaine en son temps (qu'elle appartienne à son époque, comme on dit), le simple fait de l'institutionnaliser, de fonder une société de musique contemporaine à laquelle certains appartiennent et d'autres non, crée une situation que, avec Harnoncourt, on pourrait peut-être qualifier en effet d'«absolument nouvelle dans l'histoire de la musique».
Ce qui est nouveau, ce n'est pas tant la chose elle-même nommée «musique contemporaine» (cette musique que, dans les mêmes années vingt, on appelait encore indifféremment «nouvelle musique», Internationale Gesellschaft für neue Musik étant précisément la traduction allemande du sigle de la SIMC); ce n'est pas le fait que la «nouvelle musique» soit nouvelle qui est inédit dans l'histoire, c'est plutôt le moment où l'on passe du fait au droit. Ce qui est «nouveau», ce n'est donc pas qu'il y a, en fait, de la nouveauté en musique, mais bien que, en droit, on puisse isoler et nommer, déclarer comme institutionnellement «contemporaines» certaines musiques au sein d'une époque qui, par conséquent, n'est plus entièrement contemporaine d'elle-même. Et qui le dit.
C'est cette situation de droit qu'enregistre Harnoncourt, assez maladroitement (mais d'une maladresse qui, là aussi, est loin d'être naïvement exempte d'idéologie). Car pour lui, la «musique contemporaine» est morte; et ce «symptôme», dit-il, devient la cause d'un retour vers l'«historique»:

«Cette attitude face à la musique historique - ne pas la rapporter au présent mais se replacer soi-même dans le passé - est le symptôme [je souligne] de l'absence d'une musique contemporaine vraiment vivante. La musique d'aujourd'hui ne satisfait ni les musiciens ni le public, dont la plus grande part s'en détourne carrément; et pour combler le vide qui s'est ainsi créé [je souligne encore: le symptôme devient donc cause], on revient à la musique historique. Ces derniers temps, on s'est même tacitement habitué à comprendre, sous le vocable musique, en premier lieu la musique historique; au mieux on l'applique accessoirement à la musique contemporaine. Cette situation est absolument nouvelle dans l'histoire de la musique.» (p.15)

On peut suivre Harnoncourt lorsqu'il déclare morte la «musique contemporaine». On peut même le devancer, dire ce qu'il ne dit (et ne pense) sans doute pas, à savoir: 1. que déclarer la mort est la ressource même de l'héritage sans héritage qui caractérise la tradition moderne (Boulez ne peut être fidèle à Schoenberg qu'en le déclarant mort, selon le titre d'un de ses articles célèbres: Schoenberg est mort); 2. que si la «musique contemporaine» est morte, c'est dès lors qu'elle peut revivre autrement (dans ses réécritures à venir plutôt que dans des réactions qui n'ont de «nouvelles» que le nom); et 3. que cette mort n'est sans doute pas étrangère à son baptême, à sa nomination comme telle, comme musique dite «contemporaine» (au sens institutionnel d'une SIMC).
Mais c'est précisément ce que Harnoncourt ne dit pas. La mort de la «musique contemporaine» devient au contraire la cause (ou le prétexte) d'un retour à l'«historique». Or, l'argumentation d'Harnoncourt est retorse, car c'est visiblement depuis ce mouvement de retour que se constitue la catégorie même de l'«historique». Lorsque, dans les premières lignes du texte, il affirme que «face à la musique historique, il est deux attitudes radicalement différentes» - l'une qui «la transpose au présent», l'autre qui «essaye de la voir avec les yeux de l'époque où elle est née» -; lorsqu'il pose ainsi la première occurence de l'expression «musique historique» dans son discours, il présuppose (il glisse en contrebande) un sens anhistorique de cette expression, un sens que la première attitude (celle qui rapporte tout au présent) ne pouvait connaître; je lis et commente:

«La première conception [la première attitude, celle qui «transpose au présent»] est la plus naturelle et la plus courante à toutes les époques où il existe une musique contemporaine vraiment vivante [donc à toutes les époques où la catégorie nominale de «musique contemporaine» n'existe pas, du moins au sens de la SIMC et des autres institutions qui la prolongent ou déclinent]. Elle [cette première attitude] est également la seule possible [je souligne: ce níest donc pas une «attitude» au sens où l'on aurait à choisir] tout au long de l'histoire de la musique occidentale, des débuts de la polyphonie jusque dans la deuxième moitié du XIXe siècle [...]. Cette conception vient de ce que le langage musical a toujours été considéré comme étant absolument lié à son temps. [...] On est sans cesse surpris par l'enthousiasme avec lequel, autrefois, on appréciait les compositions contemporaines comme des exploits inédits. La musique ancienne [Harnoncourt glisse habilement de l'«historique» à l'«ancien»] n'était considérée que comme une étape préparatoire, dans le meilleur des cas comme un objet d'études; ou encore, en certaines rares occasions, elle était arrangée pour quelque exécution particulière. Lors de ces rares exécutions de musique ancienne - au XVIIIe siècle par exemple - on estimait qu'une certaine modernisation était absolument indispensable.» (p.14-15)

Notons pour l'instant que, dans cette première «attitude» (qui n'en est pas une, qui est bien plutôt une nécessité), la notion même de «musique historique» s'avère intenable; cíest pourquoi Harnoncourt doit avoir recours, subrepticement, à une catégorie plus floue, de substitution: la «musique ancienne». Lorsqu'il en vient à caractériser la «deuxième conception» (celle qui, datant «du début du XXe siècle à peu près», voudrait «se replacer dans le passé»), Harnoncourt laisse s'installer un certain flottement des catégories; je souligne:

«[...] on exige de plus en plus des restitutions de musique historique qu'elles soient «authentiques» [...]. On s'efforce de rendre justice à la musique ancienne en tant que telle et de la restituer conformément à l'esprit de l'époque de sa création. Cette attitude face à la musique historique - ne pas la rapporter au présent [etc., nous avons lu la suite]»

A la faveur de ce flottement, la catégorie de «musique historique» aura traversé les siècles, saine et sauve: díabord présupposée, elle aura pu (moyennant certaines substitutions en sous-main) être posée comme catégorie valide à travers l'histoire de la musique. C'est ainsi que Harnoncourt peut faire de la «musique historique» une notion sans histoire.
Or, il faut le redire, il n'y a pas deux attitudes face à l'«historique»; il n'y en a qu'une, celle de «notre temps», celle qui pose conjointement (en les opposant) le «contemporain» et l'«historique». Celle qui fait retour de l'un à l'autre, pour mieux les dissocier en les associant.

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On peut donc le dire sans entonner pour autant, en choeur, le Requiem de certains: notre temps musical n'est pas contemporain de lui-même. Née dans les années vingt, une certaine «musique contemporaine» est sans doute morte, en effet. Mais y a-t-il jamais eu, ailleurs que dans une fiction antiquaire rétrospective, des temps non disjoints? The time is out of joint, écrivait Shakespeare dans Hamlet. C'est la répercussion de cette phrase que le «contemporain», comme (l')«historique», semble toujours tenter de couvrir.