Antony Beaumont

DIE BRAUTWAHL
CHRONOLOGIE

[AUF DEUTSCH]


Dal booklet «Die Brautwahl» TELDEC. Traduzione di Dennis Colins. Nel booklet questo saggio (pubblicato anche sul Programma di Sala della Staatsoper di Berlino) si trova nelle versioni originali dell'autore in inglese e in tedesco.

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1905

Première ébauche du livret.

1906

Février: premières esquisses musicales. La version délinitive du texte, achevée le 22 juin, est publiée la même année, avec un autre livret («Der machtige Zauberer») et l'«Esquisse d'une nouvelle esthétique de la musique».

1907

Deux scènes des actes I et II sont achevées en partition réduite. En décembre, Busoni compose la sixième «Elégie» pour piano, libre transcription de la scène de la vision avec Albertine à la fenêtre du Rathaus.

1908

«Nos vieux amis Thusmann et Leonhard se réveillent de leur hibernation, s'étirent, bâillent et se retournent avant de se lever vraiment» [lettre de 8usoni à sa femme, 30 avril]. Le travail avance désormais très rapidement.

1909

Le travail sur l'orchestration commence en mars. 8usoni négocie pour une création mondiale au Neues Deutsches Theater de Prague (Otto Klemperer souhaite la diriger), mais le projet n'aboutit pas.

1910

L'orchestration progresse. En visite à Boston, dans le Massachusetts, 8usoni rencontre l'historien de la musique et facteur d'instruments Arnold Dolmetsch, à qui il achète un clavecin (il utilise l'instrument pour accompagner le chant d'Albertine). Le Stadt-Theater de Hambourg accepte de donner la création; Harmonie-Verlag à 8erlin entreprend de publier la partition, et Egon Petri se voit commander la réduction piano et chant.

1911

Achèvement de la partition d'orchestre (883 pages). Harmonie-Verlag déclare faillite. 8usoni décide d'assumer lui-même tous les nouveaux frais de gravure, et s'engage dans une longue bataille juridique.

1912

Création mondiale le samedi 13 avril (et non le 12 avril, comme le disent la plupart des ouvrages de référence). Direction: Gustav 8recher; mise en scène: Siegfried Jelenko; décors et costumes: Karl Walser; Albertine: Elisabeth Schumann. Les réactions de la presse sont négatives, dans l'ensemble. L'éditeur Cassirer fait paraître une édition à tirage limité somptueusement illustrée du livret, signé par Busoni et Walser. En août, Busoni achève la «Brautwabl-Suite» pour orchestre, et prépare une version considérablement raccourcie de l'opéra.

1913

Nouvelle production au Nationaltheater de Mannheim (direction: Artur Bodanzky). La presse manifeste une nouvelle fois peu d'enthousiasme. Malgré l'intérêt constant de Klemperer, aucune autre production de l'opéra n'est donnée du vivant de 8usoni.

1920

Composition de la «Toccata» pour piano dans laquelle 8usoni juxtapose une transcription de la «Ballade de Lippold le monneyeur juif» de «Die Brautwahl» à des éléments destinés à Doktor Faust établissant ainsi un lien idéologique entre les deux opéras.

1923

L'inflation galopante anéantit l'économie allemande. En réaction, 8usoni compose une nouvelle version de concert de la «Ballade de Lippold», mais son baryton soliste refuse de la chanter, jugeant le texte antisémite. «Monde étrange, dit Busoni, mentalité surprenante. Prions»


HOFFMANN E BUSONI

Le dernier recueil important de nouvelles de Hoffmann «Die Seraplons-Bruder» (Les Frères Sérapion), s'ouvre sur un conte intitulé «Sérapion l'ermite». Sérapion (en réalité le comte P* de M-) est un vieil homme affable mais excentrique: il prétend être un martyr chrétien du IIe siècle, parle de rencontres avec l'Arioste, Dante et Pétrarque, tient la forêt d'Allemagne du Sud où il vit pour le désert de Thèbes, et voit dans les lointains clochers de Bamberg les temples d'Alexandrie. Il fonde ses affirmations sur un argument d'une surprenante simplicité: «Le temps est un concept aussi relatif que le nombre». Ce principe dit «de Sérapion», est un motif qui revient dans chacune des histoires, et à l'aide duquel Hoffmann transpose mythes et sagas à sa propre époque, présentant un ensemble d'archétypes et d'images quotidiennes tellement riche et troublant que le sens du temps et de l'espace du lecteur s'en trouve brouillé et déformé.
Dans une large mesure, «Die Brautwahl» de Busoni correspond au concept hoffmannien d'opéra comique en tant qu'émanation de la commedia italienne: «Dans l'opéra bouffe, l'esprit romantique doit céder la place à un esprit de fantaisie. [...] Les aventures qui surviennent aux personnages doivent produire un effet étrange au point de nous persuader que quelque fantôme insensé a envahi nos vies, nous entraînant inexorablement dans son monde de plaisantes moqueries», Hoffmann et Busoni avaient beaucoup de choses en commun: une fascination pour l'anormal, tant mental que physique, une mentalité cosmopolite, un humour subtil et une vigoureuse croyance dans les visions et les idéaux. Busoni se considérait même parfois comme la réincarnation de Hoffmann.
Busoni est né à Empoli un dimanche de Pâques, le ler avril 1866. Pour lui, la date était doublement significative: d'un côté il pouvait se sentir victime d'un «poisson d'avril», un moqueur et un clown de Dieu; de l'autre, un Sonntagskind, littéralement un «enfant du dimanche», une personne capable (pour citer Strindberg) «de voir ce que les autres ne peuvent voir». Son évolution artistique fut en effet la quête constante d'un «univers sonore», d'un art qui ne connaissait de frontières ni nationales ni temporelles, d'une musique qui combinait tous les styles, transcendait toutes les écoles, consolidait et perfectionnait les acquis de toutes les générations précédentes. Ses idées se fondaient sur une perspective anhistorique, pour laquelle il forgea l'expression «omniprésence du temps». Il consacra beaucoup d'énergie à une étude sérieuse, quoique critique, des phénomènes ésotériques tels que la perception extrasensorielle, la télépathie et l'occultisme.

Le drame et ses personnages

Conformément au principe de Sérapion, tous les personnages de «Die Brautwahl» sont modelés sur des personnages réels. Pour Manasse et Leonhard, Hoffmann s'inspira d'une chronique de Berlin du XVIe siècle, la «Microchronologicon» de Peter Hafftiz. Cette chronique raconte en détail l'histoire de Lippold, un monnayeur juif, qui, accusé de recourir à la sorcellerie pour soutenir les malversations fiscales de son monarque, le prince électeur Joachim II de Brandedourg, fut arrêté, torturé et brûlé vif. Hafftiz mentionne également un orfèvre suisse, Leonhard Thurnheisser zum Thurm, qui avait ouvert un atelier à Berlin et qui, d'après la rumeur, avait maîtrisé l'art secret de l'alchimie.
Lors de l'Exposition artistique de Berlin, en 1816, Hoffmann vit une série de tableaux allégoriques du jeune peintre Wilhelm Hensel (1794-1861). Ces grandes toiles firent scandale, et c'est avant tout pour se moquer de l'«art vert», de Hensel, comme l'appelaient par dérision les critiques, que Hoffmann intégra l'artiste à son histoire: «Hensel» devient «Lehsen», et le vert - le «vert grenouille», -, sa couleur dominante. (En 1829, le vrai Hensel fit un mariage heureux avec une vraie Albertine, Fanny Mendelssohn.)
«Le Marchand de Venise» fut également l'une des sources littéraires de l'histoire. Il y a beaucoup de Shylock en Manasse, tandis qu'Albertine, avec ses trois prétendants, ressemble fortement à Portia; son sort est même scellé, comme dans Shakespeare, par un procès où l'on retrouve les trois coffrets. En 1818, alors que Hoffmann travaillait à «Die Brautwahl», «Le Marchand de Venise» était à l'affiche au Schauspielhaus de Berlin, avec le grand acteur Ludwig Devrient, ami et compagnon de beuverie de Hoffmann, dans le rôle de Shylock. Lui aussi contribua beaucoup au personnage de Manasse. Quant à l'identité de l'orfèvre, «la seule personne vivant à Berlin en 1819 qui ressemble un tant soit peu à Leonhard», écrit le grand spécialiste de Hoffmann Hans von Muller, «était Hoffmann lui-même». Dans la mesure où Busoni, avec son pressentiment de réincarnation, souscrivait lui aussi à cette identification, l'orfèvre devient dans l'opéra l'autoportrait idéalisé du compositeur.

Du bien et du mal

La joute verbale à laquelle se livrent Leonhard et Manasse, avec un humour sinistre, occupe une place centrale dans l'action. Ces deux «revenants» sont des incarnations de la vérité et du mensonge, du bien et du mal. Leur scène de magie dans la cave à vins peut se lire comme une allégorie de l'art factice et authentique: Manasse utilise ses pouvoirs magiques pour transformer des tranches de radis en fausses pièces; entre les mains de Leonhard, elles deviennent d'éblouissants éclairs de lumière.
Leonhard est un surhomme, capable (comme l'écrira plus tard Busoni) «d'aller instantanément au-delà des frontières de l'humanité». Malgré ses origines nietzschéennes, ni lui ni son successeur, le docteur Faust, ne souscrivent au dogme préfasciste de Zarathoustra. Busoni était convaincu que les immortels bienveillants tel Leonhard étaient essentiels pour la sauvegarde de l'avenir de l'humanité. Bernard Shaw, écrivain que Busoni admirait beaucoup, expose une philosophie comparable dans son cycle de pièces «Back to Methuselah» (1921): «Les hommes vivront trois cents ans, non pas parce qu'ils le souhaitent, mais parce que l'âme au fond d'eux-mêmes sait qu'ils doivent le faire, pour sauver le monde.»
Il pourrait sembler curieux que Busoni ait choisi d'exposer ses idées visionnaires dans une comédie. En tant que «poisson d'avril», il s'exprimait non pas en fronçant les sourcils mais avec en sourire. En tant que Latin, il était de toute manière hostile au concept de «profondeur», en musique; et lorsqu'une amie lui fit remarquer qu'il était un homme bien trop sérieux pour écrire un opéra bouffe, il répliqua avec cet élégant aphorisme: «L'humour est le fruit de l'arbre du sérieux.»

La partition

«Die Brautwahl» marque un tournant dans l'évolution artistique de Busoni. Les œuvres qui précédaient, notamment le «Konzertstuck» pour piano et orchestre (1890), le «Concerto pour violon» (1895), l'«Ouverture de comédie» (1897) et la deuxième «Sonate pour violon» (1898-1900), étaient encore partiellement écrites à l'ombre de Brahms et de Verdi. Le chef-d'œuvre de sa première période, le monumental «Concerto pour piano», suivit en 1902-1904. Les œuvres composées aussitôt après «Die Brautwahl» témoignent en revanche d'un intérêt accru pour le travail de ses collègues les plus progressistes, notamment Schoenberg et Bartok. Par moments, comme l'explique Bernard van Dieren, ami et élève de Busoni, l'opéra préfigure ces nouvelles évolutions: «Lorsqu'on trouve quelque chose de troublant dans les plus ambitieuses de ses compositions brèves, on peut presque toujours l'élucider en se référant à un passage comparable, composé sur un texte, dans «Die Brautwabl.»
Un trait distinctif de toute la musique de Busoni est l'emploi de matériau d'emprunt. Dans «Die Brautwahl», il cite ainsi littéralement la marche des Hébreux du «Mosè» de Rossini (acte I, scène I), incorpore des bribes de musique des minstrels américains, une phrase du «Jephto» de Carissimi, des réminiscences de fanfares militaires et de chants populaires allemands, des allusions au chant grégorien et à la psalmodie juive, et de brèves citations de ses propres œuvres. Cette tapisserie d'allusions lui permet d'appliquer le principe de Sérapion à la musique. En invoquant des mélodies d'époques et de contrées lointaines, Busoni étaie son hypothèse d'«omniprésence du temps».
Pour chaque personnage du drame, Busoni prend soin d'élaborer un style vocal individuel. «Je me suis mis en tête de le modifier en fonction du sentiment ou du climat de l'instant, écrit-il; ce qui laisse à la mélodie la possibilité d'être signifiante.» Il consacre également beaucoup d'attention au problème technique de l'adaptation de sa dynamique musicale au dialogue de Hoffmann: «Seuls Mozart et Verdi ont jusqu'à maintenant su vraiment cadenzare leurs textes. De nombreux facteurs interviennent: climat, tempo, hauteur, déclenchement d'une réaction, soutien, effacement ou silence complet de l'orchestre, changement de sujet de conversation, expression d'une parenthèse, et que sais-je? Le Falstaff [de Verdi] est le modèle absolu de ce genre de chose.»

«Die Brautwahl» est-il antisémite?

Le Berlin où vivait et travaillait Hoffmann était une communauté d'Allemands et de non-Allemands, de chrétiens et de juifs qui coexistaient en harmonie - dans une très large mesure. Bien que l'intrigue de «Die Brautwahl» soit fondée sur le conflit entre un chrétien et un juif, ce serait se méprendre sur les intentions de l'auteur que d'en donner une interprétation raciste. Comme la plupart des artistes de l'époque romantique, Hoffmann était fasciné par la légende d'Ahasvérus, le Juif errant. Il connaissait sans doute le chef-d'œuvre de Jan Potocki, Le Manuscrit trouvé à Saragosse (publié en Allemagne en 1809), dans lequel l'imposante figure d'Ahasvérus joue un rôle central. Et lorsque son Manasse, «les poings serrés [...] mais non sans une certaine majesté» se lance dans une malédiction démoniaque, il est clair que Hoffmann s'amuse à parodier la vogue de l'horreur gothique à l'époque Biedermeier II ne lui serait jamais venu à l'esprit qu'une telle scène puisse être jugée choquante.
En 1915, Busoni envoya d'Amérique une lettre ouverte au Vossische Zeitung à Berlin, se déclarant solidaire du peuple allemand et de sa culture. Mais jamais, même dans ses pires rêves, il n'imagina que les Allemands perpétreraient les atrocités du Troisième Reich. Abhorrant la violence sous toute forme, il se réfugia dans un pays neutre pendant la Première Guerre mondiale - en Suisse - et attendit la fin du carnage. Dès qu'il eut mis sa famille à l'abri, il retourna à Berlin, où, en tant que professeur à l'Académie prussienne des arts, il s'efforça de faire partager ses idées et son expérience à la jeune génération. Pour lui, il était évident que l'humanité, dont l'avenir le préoccupait tant, serait une grande communauté unique, dans laquelle les différences de sensibilité politique, de culture ou de croyance religieuse n'auraient aucune importance.

Le sens des proportions

Les difficultés pratiques qu'il y avait à transformer la nouvelle de Hoffmann en une œuvre scénique tenaient en partie à la complexité du récit, en partie à la volubilité du dialogue. Dans son livret, Busoni adopte une grande partie du texte tel quel, même dans les passages dont la signification est obscure. Il réussit à diviser l'action en tableaux évocateurs, s'assurant que chaque scène est bien contrastée et se termine par une conclusion satisfaisante Le plaisir philologique qu'il prend à la langue de Hoffmann l'emporte cependant souvent sur le simple besoin de concision. Les belles phrases ralentissent le rythme de l'action et, plus gravement, nuisent à l'effet des scènes conçues pour avoir une certaine ampleur, telle la malédiction de Manasse, la vision de l'église ou la cérémonie des coffrets. L'expérience pratique qu'il acquit en portant «Die Brautwahl» à la scène le persuada ensuite que les règles dramatiques de l'opéra différaient radicalement de celles du théâtre parlé. L'obligation première du librettiste, ainsi qu'il le souligne dans sa préface à «Doktor Faust», est la brièveté. Bien qu'il eût conçu «Die Brautwahl» comme une comédie (il qualifia même parfois l'œuvre d'«opérette»), la partition prit des proportions épiques; caché derrière un spirituel voile d'humour, son message mystique se trouvait réduit à un contour nébuleux.
Donné intégralement, «Die Brautwahl» durerait environ trois heures. Pour une représentation convaincante au théâtre, il est indispensable d'y faire des coupures. La version de Berlin, que présente notre enregistrement, fut réalisée pour une production au Steatsoper Unter den Linden à Berlin en 1992. Il fallait équilibrer le respect du sens formel de Busoni et du brillant de son invention musicale d'une part avec le besoin de réduire les nombreuses parenthèses, répétitions et digressions de l'autre. A cette fin, deux tableaux complets (acte II, scène I et acte III, scène 2) ont été entièrement omis, et le point culminant de l'opéra (la vision de l'église) a été transféré à la scène finale. En tout, comme dans la production de Mannheim de 1913, un tiers environ de la partition a été coupé. Célèbre pour les transcriptions qu'il fit de musiques d'autres compositeurs, Busoni était le premier à défendre le droit de l'interprète à adapter et à ajuster une œuvre d'art à ses propres conceptions. Il demandait à ses auditeurs de ne pas condamner l'art de la transcription, sous quelque forme ou aspect que ce soit, comme une manipulation artitrarre, mais de con sidérer l'artiste comme un intermédiaire entre le temporel et l'éternel:
«Toute notation est déjà la transcription d'une idée abstraite. [...] L'interprétation d'une œuvre est aussi une transcription, qui - si librement qu'elle soit traitée - ne peut détruire l'original. Car une œuvre d'art musicale existe avant qu'elle ne sonne et après qu'elle a fini de sonner, complète et intacte. Elle se situe simultanément dans le temps et en dahors du temps.»
© 1999 Antony Beaumont
Traduction: Dennis Collins