|
|
S'interroger sur la place de la guerre dans l'oeuvre de Chagall revient en fait à passer à la question son oeuvre. Sa condition de juif, ses perpétuelles fuites face à la montée des mouvements extrémistes ne peuvent ne pas être perçues chez ce dernier. La guerre l'a en effet entrainé dans une fuite irraisonnée de sa propre personne. Il quitte ainsi Moscou au crépuscule de la deuxième guerre mondiale alors que sa réputation commençait à le servir. De même, en plein conflit mondial, il s'embarque pour les Amériques. Ces fuites, ces errances à travers le monde paraissent symptomatiques de toute une génération d'artistes désireux de trouver une terre d'accueil propice à leur travail. A ceux qui croient que Chagall s'est refusé à s'engager dans un combat qui n'aurait pas été le sien, on se doit de leur opposer ceci: le peintre a activement participé aux différents combats qui ont ensanglanté le monde depuis le début de notre siècle. Il collabore par exemple à l'illustration de Et sur la Terre , un plaidoyer écrit par Malraux dans les années 38 en faveur dela liberté. Après 1922, il retourne en France et s'intéresse à la naissance du surréalisme. Il découvreun plaidoyer en faveur de la liberté. |
Artiste «dégénéré», Chagall mène un combat fratricide avec lui-même pour savoir qui il est. Après 1922, il retourne en France et sintéresse à la naissance du mouvement surréaliste. Mais, devant lanimosité de Breton à légard de ses inspirations mystiques, le peintre préfère garder ses distances. Faisant fi de toute école, il voyage pour son agrément de part le monde: Il découvre Rembrandt en Hollande, et lhorreur de la guerre à Tel Aviv. Fuyant les atrocités nazies, il installe ensuite sa famille dans une maison du Connecticut. Loin de la guerre, son uvre ne rend plus systématiquement compte de langoisse et des peurs inhérentes au conflit qui secoue lEurope. Ce questionnement sur la guerre se justifie pleinement chez Chagall et ne va pas sans un questionnement sur lidentité. Le peintre a subi les moqueries inhérentes à son rang de juif, mais ce dernier de retourner le compliment dans son travail. Cest ainsi quil compose avec le Messie, les personnages hassadiques, le dieu des chrétiens et des autres. Sous le vernis de ses tableaux se cachent les émois dun artiste juif conscient de son statut et jouant avec habileté de celui-ci dans une sorte de «diaspora de couleurs». |
Traversée danges, de témoins de la Grande Alliance, de rabbins, son uvre porte lambition dun message biblique personnel qui vise à rétablir lidentité juive dans lhistoire. Par le truchement de la figure du Juif errant, cest chose possible. Françoise Rossini-Pacquet, dans Voyages et rencontres de Marc Chagall, pose en fait sans le développer que «Chagall, plus quun autre concerné, est le précurseur de la vision moderne du juif errant.» Sans prétendre dominer limage mythique de Chagall, il paraît intéressant dopposer luvre au mythe, de voir de quelle manière lune se retrouve ou se sépare de lautre dans la mesure où il le met en touches de couleurs dans quelques-unes de ses compositions et où il devient lui-même à sa façon un juif errant lors de sa fuite pour lAmérique. Chagall devient un «homo viator» pour qui le monde serait une immense étendue de blanc sur laquelle il étalerait péniblement ses angoisses. Il nempoigne pas son bâton de pèlerin pour essuyer ses pas sur le même chemin que celui des souffrants et des victimes de la guerre. Le juif errant, depuis lorigine, entend rester à distance du monde des hommes. En trois toiles constituées presque en série en raison de leur thème, se ressentent des distorsions progressives où le personnage du juif errant de se pétrifier désire davantage sortir de scène. Solitude ( 1933), La Révolution ( 1937) et Crucifixion blanche ( 1938) respirent différemment le parfum de lexil et les couleurs de ces trois moments poétiques poudroient par delà les adversités de ces années davant-guerre.
|
|
|
|
|