ADRIANA GABRIELLI DEL BENE
Mozart «prit la mesure» des chanteurs et chanteuses prévus, que d'ailleurs il connaissait déjà tous à des degrés divers. Si Adriana del Bene, dite - d'après sa ville natale, Ferrare - Adriana Ferrarese, n'avait pas été la maîtresse de Da Ponte, le rôle de Fiordiligi aurait peut-être été différent, et Fiordiligi et Dorabella n'auraient sans doute pas été qualifiées de «dames de Ferrare». En 1770, Burney avait entendu la Ferrarese (alors âgée de quinze ans) à Venise, et écrit qu'elle «chantait très bien et avec une extraordinaire étendue de voix, car elle était capable d'atteindre le mile plus aigu de nos clavecins, et de tenir cette note pendant un temps considérable, d'une voix claire et naturelle».
Elève de Sacchini, elle était apparue en 1785 à Londres, où William Parke avait trouvé qu'elle «avait une voix agréable et chantait avec goût, mais ne semblait pas destinée à briller comme prima donna». La même année, toujours à Londres et dans le rôle d'Euridice de l'Orfeo de Gluck, elle avait été jugée «pas à la hauteur». Ses trois saisons à Vienne (1788-1791) marquèrent le sommet de sa carrière. Elle fit ses débuts au Burgtheater le 13 octobre 1788 dans «L'Arbore di Diana» de Martin y Soler et Da Ponte, et en 1789 chanta dans deux autres opéras ayant comme librettiste Da Ponte, «Il Pastor fido» et «La Cifra» de Salieri (11 février et 11 décembre respectivement). De toute évidence, elle exerçait sur son amant une influence certaine, et c'est entre autres pour avoir soutenu la Ferrarese dans ses querelles avec d'autres chanteuses que Da Ponte vit alors sa position quelque peu ébranlée.
Le 16 avril 1789, Mozart écrivit à Constance de Dresde, après avoir assisté à une représentation d'opéra qualifiée par lui de misérable: «La chanteuse principale, Allegrandi, est bien meilleure que la Ferrarese, ce qui, il est vrai, ne veut pas dire grand-chose». Ce jugement défavorable n'empêcha pas la Ferrarese de se voir attribuer le rôle de Suzanne, créé en 1786 par Nancy Storace, lors de la reprise des «Noces de Figaro» à Vienne le 29 août 1789. A cette occasion, Mozart composa pour elle deux airs, «Al desio di chi t'adora» (K. 577), pour remplacer «Deh vieni non tardar», et «Un moto di gioia» (K. 579), pour remplacer le duo «Aprite presto, aprite». A propos du K. 579, Mozart écrivit à Constance: «L'ariette que j'ai composée pour la Ferrarese devrait plaire à mon avis, si du moins elle arrive à la chanter naïvement, ce dont je doute. Cette ariette lui a beaucoup plu». La Ferrarese était plus à son aise dans un air de bravoure comme le K. 577 que dans «Deh vieni non tardar». Dans «Così fan tutte», Mozart exploita à fond la vaste étendue de sa voix et son chant maniéré (elle n'était pas considérée comme une bonne actrice), de facon parodique dans «Come scoglio», sincère dans «Per pietà».
Marc Vignal, «Sources, composition et créateurs», in «Così fan tutte», Avant-Scène Opéra, mai-juin 1990, nº 131-132, p. 12.