RICHARD WAGNER WEBSITE
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OSWALD GEORG BAUER

DIE MEISTERSINGER VON NÜRNBERG
(LES MAÎTRES CHANTEURS DE NUREMBERG)

Dans Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg, Richard Wagner avait tenté, entre autres, d'offrir des points d'ancrage à la prise de conscience d'une identité nationale, comme préalable de l'unité allemande. Mais les nationalistes racistes se firent passer pour les seuls garants, l'unique rempart de l'identité nationale, et s'emparèrent de l'oeuvre, avec les passages les plus compromettants de son livret. Et personne ne leur résista, pas même Bayreuth et ses organes de presse. Bien au contraire. La semence empoisonnée d'écrivains et de journalistes se définissant comme «le cercle bayreuthien» ou encore, dans leur milieu fermé, comme des «Wahnfriediens», qui avaient préparé le terrain idéologique et activé la politisation de Bayreuth, cette semence donna une moisson abondante. Le processus débuta avant même la Première Guerre mondiale. Dès 1896, les Bayreuther Blätter qualifièrent le Festspielhaus de «refuge aryen»; l'écrivain-maison de Wahnfried, Hans von Wolzogen, réclama que l'on fît de «la grande cause» wagnérienne une «cause nationale». Après 1933, on put constater avec plaisir que ce but avait été atteint. Les notions de «Bayreuth» et de «Wahnfried» ne recouvraient plus seulement le festival et ses intentions artistiques, mais une idéologie bornée, pangermaniste, nationaliste, conservatrice et antidémocratique. Les Bayreuther Blätter devinrent de plus en plus nettement l'organe de presse de l'idéologie nationaliste allemande.
En 1914, Maximilian Harden avait donné l'alerte: «Renoncez enfin à tenter de le (Bayreuth) falsifier en le transformant en Sion, en rempart, en sanctuaire presque céleste de l'âme du peuple allemand, d'où s'exprime la volonté du maître». Et Paul Bekker écrivit dans ses Kritische Zeitbilder de 1921:«La présentation éthique et nationaliste fondamentalement erronée qui a fait de Bayreuth, lieu d'art à l'origine, le lieu de culte d'un germanisme mal assimilé, en insistant toujours davantage sur les facteurs extra-artistiques, cette présentation est funeste... et à bien des égards presque catastrophique pour l'attitude spirituelle, notamment des Allemands ... La réaction non seulement esthétique, mais également politique, le sinistre teutonisme, la bigoterie, le racisme et le nationalisme borné trouvent ici leur soutien et croient pouvoir s'attribuer ainsi - que l'on pense simplement à Chamberlain - la grandeur du phénomène artistique wagnérien, et en tirer leur propre justification».
Houston Stewart Chamberlain, le dilettante universel et lettré, auteur des Fondements du XIXe siècle, était entré en correspondance avec Cosima Wagner en 1888, puis, en 1901, avec l'empereur Guillaume II, dont il encouragea les idées de croisade pendant la Première Guerre mondiale. Il épousa Eva, la fille de Cosima, en 1908, et établit en 1923 le premier contact entre la villa Wahnfried et Adolf Hitler. Ces étapes n'illustrent pas seulement la dérive de Bayreuth dans le camp de la réaction politique, mais également, dans un sens plus large, l'itinéraire de l'histoire allemande vers la catastrophe. A la réouverture du festival en 1924 - après une interruption de dix ans due à la Première Guerre mondiale - Adolf Rapp écrivit dans le guide du festival un article intitulé: «Wagner: Führer de la nature allemande»; il y affirmait: «On peut dire aujourd'hui que la communauté bayreuthienne est également réunie politiquement dans le camp où se retrouvent, de plus en plus nombreux, ceux qui veulent résolument être allemands». Ludendorff fut présent dès les répétitions. Lors de la représentation des Maîtres Chanteurs de Nuremberg que dirigeait Fritz Busch, le public se leva pendant l'allocution de Hans Sachs, et entonna l'hymne allemand à la fin du spectacle. Il semblerait que l'on ait également entendu quelques «Heil» isolés.
Le directeur du festival, Siegfried Wagner, remarqua «pâle d'indignation: à la fin du Crépuscule des dieux, ils vont vraisemblablement chanter le 'Wacht am Rhein'» (Franz Stassen). Mais Siegfried Wagner accepta que l'on hissât sur le toit du Festspielhaus le drapeau noir-blanc-rouge, à côté du drapeau bavarois, et dans la République de Weimar, c'était un aveu. En 1925, les excès se renouvelèrent et Siegfried fit afficher l'avis suivant: «Nous vous prions de bien vouloir vous abstenir de tout chant, même bien intentionné: ici, seul l'art compte!» En 1921, il refusa catégoriquement le boycottage des juifs au festival, demandé par August Püringer; il estimait qu'il s'agissait d'une atteinte à la tolérance; il écrivit en 1925: «Pour ma part, j'ai tout fait pour garantir que les journées bayreuthiennes resteraient à l'écart de toute intrusion politique. Tous ceux qui veulent trouver à Bayreuth édification et expérience y seront les bienvenus, quelles que soient leurs opinions ou leur extraction. Personne ne doit craindre que de quelconques incidents déplaisants s'y produisent» (Berliner 8 Uhr Abendblatt, 9.3.1925).
Mais il était trop tard. Il était désormais impossible de vouloir une chose et d'empêcher l'autre. Bernhard Diebold, qui avait assisté au festival de 1928, s'interrogeait: «Où sont passés les esprits libéraux pour l'oeuvre d'art libérale? Où se cache le peuple des Maîtres Chanteurs?Où sont les nerfs sensibles qui vibraient avec l'âme de Tristan? Est-on trop chic pour la musique d'hier? Est-on si intelligent politiquement que l'on mette dans le même sac Wagner et Chamberlain? Que s'est-il passé?
Au lieu de revendiquer les Maîtres Chanteurs pour le festival démocratique... l'esprit partisan a cédé tout Richard Wagner aux nationalistes ingénument et sans combat... Il faut opposer à la défiguration nationaliste le libéralisme de l'oeuvre wagnérienne». Mais ces voix ne pouvaient plus se faire entendre. «Les Allemands se sont accommodés un Wagner à leur guise, auquel ils puissent rendre hommage. Ils n'ont jamais été psychologues, leur manière de témoigner leur reconnaissance consiste à comprendre de travers»: le jugement de Friedrich Nietzsche prit une nouvelle actualité. Wolfgang Wagner avait raison de dire en 1976 dans son discours prononcé à l'occasion de la réouverture comme musée de la villa Wahnfried, détruite pendant la guerre: «Je crois qu'il fallait que la bombe tombât».
La redécouverte de Wagner à notre époque ne fut possible que lorsque «Wahnfried» ne fut plus une institution.
Il était dans l'ordre des choses que la «journée de Potsdam» du 22 mars 1933 commençât par une exécution des Maîtres Chanteurs de Nuremberg à l'Opéra national de Berlin Unter den Linden, et que cette oeuvre fût ensuite érigée (ou plutôt abaissée) au rang d'opéra d'apparat pour les Congrès du Parti nazi à Nuremberg. En 1933, lors de la retransmission radiodiffusée de l'oeuvre depuis le Festspielhaus, Joseph Goebbels fit un discours où il mentionna les vers de Hans Sachs tirés du Rossignol de Wittenberg. Ces vers, écrits à l'époque de la Réforme avaient été insérés par Wagner dans le choeur «Wach auf» («Réveillez-vous») des Maîtres Chanteurs. Goebbels les définit comme le «hurlement du peuple» (qu'en aurait dit le chef des choeurs?) et comme un «symbole tangible du réveil du peuple allemand après la profonde anesthésie politique et spirituelle de novembre 1918
A l'occasion de la «Journée de la liberté du parti nazi, les Maîtres Chanteurs furent donnés pour la première fois dans les nouveaux décors dessinés par l'artiste officiel du Reich, Benno von Arent. Hitler lui en avait passé commande personnellement, et avait examiné lui-même les projets avant leur réalisation. Dans la conception de von Arent, l'échoppe du cordonnier n'était plus la sympathique chambre bourgeoise, mais un atelier qui devait exprimer: «Respectez le travail, estimez les travailleurs» (B. von Arent). Le seul décor à s'éloigner du cadre historicisant de l'Allemagne ancienne était la prairie de fête: avec ses rangées de drapeaux, elles ressemblait au terrain des Congrès annuels du parti. Elle était donc réellement devenue «cause nationale». Benno von Arent fournit également ces décors autorisés par Hitler pour la réouverture de l'Opéra allemand de Berlin le 17 novembre 1935, pour la semaine théâtrale du Reich à Munich en 1936, pour Danzig en 1938, pour le Festival de la jeunesse allemande au Théâtre national de Weimar en 1939, et pour la nouvelle mise en scène du théâtre de Linz en 1941; Hitler accorda même à ce dernier spectacle un crédit supplémentaire tiré de sa caisse personnelle. En modifiant légèrement un slogan de ces années-là, on pourrait parler d'un peuple, d'un Reich et d'un décor. La volonté de conditionner les sentiments individuels des sujets pour créer une unité de pensée et d'expérience est symptomatique de la politique culturelle de tous les régimes totalitaires. Une autre caractéristique de l'époque est le recours aux masses, notamment dans la scène de la prairie. C'était déjà frappant dans la nouvelle mise en scène de l'Opéra municipal de Berlin en mai i933, puis au festival de Bayreuth de la même année. En 1939, les choeurs des Opéras de Nuremberg et de Vienne réunis participèrent à la représentation de gala dirigée par Wilhelm Furtwängler à l'occasion du Congrès du parti.
On mit au service du nouveau régime les idées de noblesse et de sainteté de l'art germanique et on en conclut à la nécessité de lutter contre l'étranger, de maintenir la pureté et de préserver l'art de la «souillure» apportée par les influences artistiques des races étrangères. A partir de là, s'ouvrait une voie qui menait tout droit à la répression et à l'élimination de l'étranger, à la terreur et à la barbarie au nom même de l'art. L'Orchestre philharmonique d'Israël, fondé en 1936, et qui avait encore joué en avril 1938 les préludes du premier et du troisième actes de Lohengrin sous la direction de Toscanini, supprima de son programme le prélude des Maîtres Chanteurs. Depuis lors, la musique de Wagner est proscrite en Israel et particulièrement dans cet orchestre, bien qu'aucune interdiction officielle n'ait jamais été prononcée. Lors d'un concert donné à l'automne 1981, Zubin Mehta a tenté de lever cet interdit.
Au cours des festivals de Bayreuth dits «de guerre», organisés par l'Association nazie «Kraft durch Freude» («La force par la joie»), on ne donna en 1943 et 1944 que Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg. On distribua les billets à des soldats, des blessés, des ouvriers d'usines d'armement et à des infirmières, en récompense de leur engagement pour la guerre. Tandis que les villes allemandes s'écroulaient en cendres et en gravats, on continuait d'évoquer au Festspielhaus le rêve du passé glorieux d'une culture nationale allemande. Ce public pouvait-il encore espérer que l'art allemand survivrait à la destruction et à la ruine de l'Empire?
Dans son ouvrage intitulé Les racines du nazisme, Ernst Bloch avait critiqué en 1939 le fait que les «antifascistes instruits» ne prononcent généralement plus le nom de Wagner que «dans un contexte nazi», et avait affirmé: «la musique des nazis n'est pas le prélude des Maîtres Chanteurs, mais le Horst-Wessel-Lied; ils n'ont pas d'autre gloire, on ne peut et on ne doit pas leur en accorder d'autre».
Mais la génération de ceux qui avaient survécu à la guerre ne pouvait plus voir cette oeuvre profanée qu'à la lumière de ses expériences. Pour Theodor W. Adorno (en 1952), Beckmesser était en 1937-1938 «le juif dans les épines» du cruel conte de Grimm. Quant à la scène de pugilat, on se mit à y flairer des relents de pogrome. «Pouvez-vous vraiment supporter encore la comédie de délicatesse de Hans Sachs, et cette chère petite oie d'Eva?» demandait Thomas Mann à Emil Preetorius

en 1949. Cependant, Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg sont restés en vie. Ils n'ont pas disparu tels les drames d'Emil Ludwig, né comme Richard Wagner en 1813, comme le fait remarquer Hans Mayer; ils n'ont pas non plus été engloutis dans l'insignifiance des productions artistiques du Troisième Reich; en effet, ils n'appartenaient pas aux productions de cette nature. «Bien sûr, Richard Wagner avait du génie, mais ça n'explique pas tout. Chose curieuse, même ses contradictions se sont révélées fructueuses» (Hans Mayer). Bien plus qu'au cours des décennies précédentes, c'est dans les mises en scène des trente dernières années, qui n'ont pas nié les faits, que les Maîtres Chanteurs ont pu manifester leur richesse bien spécifique. Mais de nombreux théâtres firent comme s'il ne s'était rien passé. Et lorsque les réserves avaient survécu à la guerre, on réutilisa les décors et les costumes d'autrefois. A l'étranger on se sentait étonnamment peu gêné par cette oeuvre. On se contenta d'en biffer les passages suspects.


MEISTERSINGER ATTO II - SCENA DI E. PREETORIUS 1933

A Paris, on joua les Maîtres Chanteurs de Nuremberg en 1948, 1949 et 1952, à Copenhague en 1951. Deux jours après la fin de la guerre, le io mai 1945, la Scala de Milan en présenta une nouvelle mise en scène sur une scène de fortune, la Scala étant détruite. La représentation suivante eut lieu dès 1947, dans la salle rouverte. En 1945, Guido Marussig avait conçu des décors merveilleusement clairs et lumineux, d'une bienfaisante sobriété, qui se passaient fort bien de toute couleur locale nurembergeoise. A Budapest, Otto Klemperer dirigea en 1949 une nouvelle mise en scène intégrale, en présence du président de l'Etat hongrois, qui lui décerna une décoration.
Dans les années d'après-guerre, les modestes scènes improvisées furent généralemerit inaugurées par d'inoffensifs classiques comme Iphigénie en Tauride de Goethe, Nathan le sage, de Lessing; ou Fidelio de Beethoven, c'est-à-dire par des appels à l'humanité, au nombre desquels on ne pouvait plus (ou pas encore) ranger Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg. Par contre, l'ouverture des innombrables nouveaux théâtres d'apparat qui surgirent de terre dans toutes les villes allemandes dans les années 50 et 60 nécessitait un spectacle plus pompeux. Et les Maîtres Chanteurs reprirent leur place d'opéra favori pour les inaugurations, que ce fût à Berlin (Lindenoper) en 1955, à Mönchengladbachen à Munich (Théâtre national) en 1963, à Wurtzbourg en 1966, ou à Wiesbaden en 1978.
Les décors du premier acte de ces années-là frappent par la hauteur des nefs d'église et par les larges surfaces vitrées laissant pénétrer des flots de lumière. A cette époque, dans la reconstruction des églises gothiques, on préféra également les vitraux blancs ou pastel aux motifs colorés. On y décèle aujourd'hui une volonté de lumière après une ère de ténèbres. Au deuxième acte par contre, et particulièrement dans le décor de la prairie de fête, on reconstitua le Nuremberg détruit, et la silhouette urbaine familière. La reconstruction d'après-guerre eut également lieu sur scène, et l'on put noter aussi le refoulement du passé immédiat, si typique de cette période.
La mise en scène que Wieland Wagner réalisa en 1956 à Bayreuth fit scandale dans le contexte de ces premières années de miracle économique;

elle exprimait en effet clairement une douloureuse vérité: le Nuremberg des Maîtres Chanteurs n'existait plus; «le symbole brûlait» (Hans Mayer). On a défini cette mise en scène comme «les Maîtres Chanteurs sans Nuremberg». Les expériences qu'avait vécues cette génération avaient rendu le nom de Nuremberg synonyme de Congrès du Parti nazi, de lois raciales de Nuremberg, de procès de Nuremberg, et de ruine totale. La conviction de Wieland était que les Maîtres Chanteurs n'étaient en aucun cas une simple comédie de milieu». Ce milieu, il ne le présentait que sous forme de citations, et dans la seule mesure où «le général, le symbolique transparaissait «détaché du milieu»; car «Richard Wagner n'a jamais rien créé de plus humain».
Sa scène était une «estrade de chanteurs», un «petit théâtre d'art». Il se demanda si «l'atmosphère à la Spitzweg» que Theodor W. Adorno avait encore décrite comme «fonctionnelle en l'occurence» était bien pertinente, et arriva à la conclusion que ce qui dominait dans le deuxième acte était plutôt «l'ironie romantique d'une nuit d'été de Shakespeare». Wieland comprit parfaitement bien pourquoi sa nouvelle interprétation avait soulevé des protestations aussi vives de la part du public (pour la première fois en effet le Festspielhaus fut le théâtre de bruyantes manifestations): il avait supprimé la «bonhomie sentimentale» habituelle, dont - comme Richard Wagner lui-même - il ne sentait pas la moindre trace dans cette oeuvre. Pour lui, Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg sont «une oeuvre du grand passé de la musique et de son grand avenir après Richard Wagner, quelque chose qui se situe entre Bach et Debussy, et aussi entre Les Noces de Figaro et le Chevalier à la rose.» Wieland aborda sa deuxième mise en scène bayreuthienne, en 1963, comme un drame satyrique au sens wagnérien du terme. On joua «sur les tréteaux du théâtre de Shakespeare et de Hans Sachs ... comme un théâtre dans le théâtre». Car la comédie des Maîtres Chanteurs «n'a pas besoin des conventions de l'opéra illusionniste». «Pensez un peu s'il-vous-plaît dans la direction de Brecht» écrivit-il au costumier Curt Palm (18. 9. 1962). Il s'agissait d'un «spectacle aimable au milieu d'artisans, de cordonniers, de boulangers, de savonniers, d'orfèvres, d'apprentis, de cuisinières, de jouvencelles, de chevaliers et de veilleurs de nuit». Il justifia sa conception en rappelant que les véritables chefs-d'oeuvre sont «susceptibles des interprétations les plus différentes», qu'ils provoquent des «essais toujours nouveaux». Cette mise en scène suscita un débat sur les possibilités et les limites de l'interprétation wagnérienne actuelle. Tandis que Hans Mayer prétendait que dans cette interprétation Nuremberg n'agissait plus comme «décor» mais comme «substance», Marcel Reich-Ranicki affirmait qu'il fallait dénazifier Hans Sachs, et qu'il conviendrait de transformer «l'opéra d'apparat» en «pitrerie». A son avis, il fallait qu'une nouvelle mise en scène prît pour base, non plus le Nuremberg du XVIC siècle, mais celui de l'époque où l'oeuvre avait été composée. Par la suite, quelques metteurs en scène et quelques décorateurs suivirent cette conception.
Pour l'inauguration de l'Opéra de Leipzig en 1960, Joachim Herz avait lui aussi conçu Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg comme une comédie sur l'art, et avait choisi de monter l'oeuvre sur les trétaux anti-illusionnistes du théâtre de Sachs (décors: Rudolf Heinrich). Des deux côtés, des galeries de bois longeaient la scène, qui était coupée par la rivière Pegnitz, reconnaissable à une inscription, à la manière brechtienne. Herz et Heinrich situèrent le «débat artistique» au centre de leur interprétation. Le lieu du débat était le «paysage culturel d'une ville de la fin du Moyen Age». Ils voulaient présenter «l'image d'une réalité lisible, tangible», une oeuvre populaire et non un opéra de gala. Leurs Maîtres Chanteurs se déroulaient à l'époque de la Renaissance allemande, où se produisit, grâce à la Réforme, l'éclosion d'une ère nouvelle. Le tragi-comique de Beckmesser, qui représente selon Herz «le personnage le plus allemand de cet opéra allemand» provenait de ce qu'il «fait grand cas de la tradition, mais ne sait pas la préserver de façon pertinente, et empêche les réformes» (Joachim Herz). Dans la scène de la prairie, Beckmesser ne chantait pas le texte estropié de la chanson de concours, mais le texte original, tel que Sachs l'avait rédigé dans son échoppe de cordonnier; mais il le chantait sur l'air de sa sérénade, transposé en mineur. Dans l'esprit de la «comédie sur l'art», il y avait donc un hiatus entre le texte et la musique. Beckmesser était chassé sous les quolibets; mais, pendant que Walther chantait sa chanson de concours, il se mêlait à nouveau au peuple pour écouter comment il convenait de l'interpréter. La possibilité de placer le choeur sur les galeries de bois, qu'offrait également les tréteaux de Sachs, et d'améliorer ainsi sa sonorité, avait déjà été utilisée par Robert Kautsky en 1955 à Vienne. Günther Schneider-Siemssen y recourut lui aussi à Stockholm en 1979, au théâtre royal.
Pour la réouverture du Théâtre national de Munich en 1963, Rudolf Hartmann présenta pour la première fois au public ébahi la nouvelle scène géante, dans un décor de prairie ensoleillée. Les cortèges des corporations évoluaient à l'aise sur la profonde scène. Le décorateur, Helmut Jürgens, choisit de renoncer à la toile de fond représentant la ville; l'ensemble des emblèmes plastiques des corporations aux motifs architectoniques formaient le relief d'une ville. L'idée de structurer l'avant-scène par une grande toile de tente se révéla fructueuse. Jürgen Rose reprit cette idée à Vienne en 1977. En 1979, à Munich, il construisit une véritable tente de fête de la bière, où le peuple s'ébattait en costume national franconien. En 1936 déjà, au festival de Salzbourg, Robert Kautsky avait placé des tentes sur la prairie, pour structurer l'espace. On put revoir à San Francisco en 1951 et à Stockholm en 1956 une variante habituelle depuis les années 20, qui consistait à placer l'action devant les murailles de la ville. La toile de fond traditionnelle représentant la ville resta également en usage. La solution la plus simple, adoptée généralement par les scènes plus modestes, était encore celle d'un espace scénique vide, décoré de drapeaux, d'étendards ou de guirlandes. On assista aussi dans les années 60 à des tentatives pour jouer les Maîtres Chanteurs dans un décor unique, ou pour échapper au réalisme du vieux Nuremberg par la technique du collage ou par quelques références aux métiers d'art du bas Moyen Age.
Dans la mise en scène qu'il réalisa en 1968 à l'occasion du centenaire de la création de l'oeuvre, Wolfgang Wagner reprit les idées fondamentales de Wieland en les conjuguant à ses propres moyens stylistiques, créant une nouvelle continuité d'interprétation. Il assura ainsi la poursuite du débat sur l'oeuvre wagnérienne. Sa mise en scène se caractérisait par la fluctuation entre le positif et la transparence. La devise structurale de base était mesure et chiffre; c'était un système aux contours rigoureux, rappelant une construction à colombages, dont les surfaces intérieures colorées pouvaient être rendues transparentes par des projections au xénon, permettant ainsi de fractionner l'espace par la lumière. A un autre niveau de signification, ce processus permettait de transmettre optiquement le conflit fondamental entre une forme structurée, soumise aux règles, et l'imagination créatrice. Les décors architecturaux cédaient la place à la prairie, élément de nature libre, lieu ouvert pour des réjouissances. L'entrée vive et joyeuse des corporations était accompagnée par les fifres municipaux, des mimes et des acrobates.
Dans une conversation avec Walter Jens, Wolfgang Wagner a développé en 1973 une idée déjà indiquée par Joachim Herz, qui s'accordait à l'atmosphère de conciliation et de tolérance de ce décor de prairie; il la mit en pratique la même année encore. Après son fiasco, Beckmesser restait en scène, il conservait ses fonctions et ses honneurs: les règles et le génie ont besoin de se corriger mutuellement. Cette idée a été reprise par Michael Hampe, en 1980 à Cologne, et par Götz Friedrich en 1977 à Stockholm.
Dans sa seconde mise en scène bayreuthienne, Wolfgang Wagner insista tout particulièrement sur la clairvoyance psychologique que Richard Wagner a manifestée dans cette oeuvre, et sur l'appel serein à l'humanité et à la tolérance, qu'il considérait comme la meilleure partie des Maîtres Chanteurs. Le juvénile Hans Sachs, Stolzing, le chevalier romantique, sensible, qui rêve de l'art des troubadours, et Beckmeser, le greffier élégant et suffisant qui «n'est pas arrivé à être professeur à Altdorf» (Wolfgang Wagner), mais qui exploite intelligemment sa position de force au profit de sa carrière: ce trio entoure Eva, pour qui les jeux sont faits, dès le début. Tous sont soumis à l'illusion qui domine la vie humaine. Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg illustrent les faiblesses et les contradictions de la nature humaine, sans froisser ni juger, mais avec l'humour sceptique du «rien de ce qui est humain ne m'est étranger», avec un sourire résigné et indulgent. C'est ce qui en fait pour nous aujourd'hui un authentique chef d'oeuvre.
Emil Preetorius - 21.06.1883 (Mainz) - 27.01.1973 (München) - Illustrator, Graphiker, Bühnenbildner

Preetorius studierte Rechtswissenschaften, Kunstgeschichte und Naturwissenschaften in München, Berlin und Gießen, wo er zum Dr. jur. promoviert wurde, und besuchte anschließend kurze Zeit die Münchner Kunstgewerbeschule, bildete sich aber vorwiegend autodidaktisch als Maler und Zeichner aus. 1909 gründete er gemeinsam mit Paul Renner die Schule für Illustration und Buchgewerbe in München, leitete seit 1910 die Münchner Lehrwerkstätten und wurde 1926 Leiter einer Klasse für Illustration sowie einer Klasse für Bühnenbildkunst an der Hochschule für Bildende Künste in München, an der er seit 1928 als Prof. wirkte. Seit 1923 war Preetorius für die Münchner Kammerspiele tätig, wurde 1932 Szenischer Leiter der Bayreuther Festspiele und trat 1951 in den Ruhestand. 1948-68 amtierte er als Präsident der Bayerischen Akademie der Schönen Künste in München. In seinen Buchillustrationen (u. a. zu Alphonse Daudets Tartarin de Tarascon, 1913), Buchgraphiken und Plakaten war Preetorius vom japanischen Holzschnitt beeinflußt, als Bühnenbildner knüpfte er an den romantischen Klassizismus an. Er veröffentlichte u. a. Vom Bühnenbild bei Richard Wagner (1938), Weltbild und Weltgehalt (1947) und Geheimnis des Sichtbaren (1963).